Intervention de Marc Maillet au nom de France Nature Environnement -
FNE
Monsieur le Premier
Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Deux points motivent
mon intervention. Ils ont trait aux débats les plus animés
traversant les comités de massifs, le conseil national de la
montagne et l'opinion publique en général. Tous deux ont
été abordés sans pour autant permettre à
la France d'être à la hauteur de ses engagements, mais
surtout d'être en mesure de justifier du développement
durable, pourtant si développé à présent
dans les discours.
Il s'agit des prétendus
grands prédateurs d'une part, et de la prétendue
solidarité en matière d'urbanisme d'autre part.
1-Pour ce qui concerne
la présence et le retour des grands carnivores dans les montagnes
françaises, il s'agit d'en percevoir l'enjeu et de ne pas être
piégés par les efforts - certes émouvants - d'un
certain clientélisme rural. De tous les débats - auxquels
j'ai participé avec assiduité - je tire la conclusion
que les refus exprimés de la cohabitation entre élevage
et les grands carnivores tiennent essentiellement à la crise
économique que traverse l'élevage de montagne et qui n'est
pas prête de prendre fin même si les ours sont déportés
et les loups tirés. Qu'on ait le courage de le dire et d'en tirer
les conséquences ! Je suis frappé à ce niveau du
silence des représentants de la profession agricole. Il est plus
simple de crier aux loups que d'envisager un autre type d'organisation
pour faire face au marché mondial, et surtout pour envisager
un autre type de développement.
Pour notre part,
nous souhaitons et nous vous interrogeons pour que le gouvernement affiche
ses intentions en matière de renforcement des populations d'ours
en Pyrénées, en matière de protection du loup et
des habitats de la grande faune. Il est grand temps que cesse la destruction
des zones d'intérêts faunistiques et floristiques et que
la France applique le programme NATURA 2000, dont les engagements ne
sont pas tenus.
Pour l'élevage
ovin, nous nous sommes prononcés pour que les diagnostics par
estives soit un outil d'aide à l'investissement pour permettre
le retour des bergers. Comment peut-on imaginer pérenniser cette
activité et produire de la valeur ajoutée sans le gardiennage
des troupeaux
? Comment éviter les prédations, et la plus importante
d'entre elles, celle des chiens errants, sans la présence de
bergers ?
Au lieu de nouvelles
primes au handicap, au lieu de marchandages sur les indemnisations,
le gouvernement et la profession ne peuvent-ils pas envisager des perspectives
plus intéressantes en matière de contrats territoriaux
d'exploitation, en matière de cahier des charges en zone d'habitat
de la grande faune ? Cela permettrait, en toute clarté, à
la collectivité nationale d'assumer sa solidarité pour
des métiers dont il faut bien reconnaître que les conditions
de vie et que le niveau de revenus sont indécents au regard du
niveau général.
Les expériences,
soutenues par les associations de protection de la nature, en matière
d'aide aux bergers pour mieux assurer ravitaillement et communication,
en matière de gardiennage des troupeaux avec les chiens patous
prouvent que la cohabitation élevage/grands carnivores est source
de mobilisation avec des résultats très encourageants.
Le gouvernement
doit organiser la poursuite du programme de réintroduction de
l'ours dans les Pyrénées. Après l'expérience
menée avec succès du programme LIFE Ours en Pyrénées
centrales - dont 50 % du financement ont été consacrés
aux mesures d'accompagnement du pastoralisme, l'opinion pyrénéenne
et française ne comprendrait pas que l'on revienne en arrière,
elle l'a montré en signant des milliers de pétitions.
Le Plan Loup "de
dispositif de soutien au pastoralisme et de gestion du loup " présente
de nombreuses lacunes, tant du point de vue écologique que pour
la promotion d'un pastoralisme de qualité. Il s'agit surtout
d'abandonner le principe des zones d'exclusion qui constituent en fait
un obstacle au retour du loup bien sûr, mais surtout est susceptible
de créer mécontentement et rejet de la part des éleveurs
ne bénéficiant d'aucune mesure d'accompagnement mais pouvant
être confrontés à des prédations. La mise
en place d'un protocole de tir dans les Alpes-Maritimes a démontré
qu'il était aberrant de viser un loup particulier alors que le
troupeau en cause, scindé en trois, stationnant dans la neige,
ne bénéficiait pas de gardien permanent, ni de parc de
nuit.
Les solutions à
la cohabitation existent donc, elles nécessitent des engagements
forts en matière de pastoralisme, mais aussi en matière
de sensibilisation des publics au retour de la grande faune et à
la gestion améliorée de la biodiversité des massifs
montagnards. C'est là, Mmes et Messieurs les Ministres, où
les associations comme France Nature Environnement vous demandent de
réussir.
2- Pour ce qui
concerne le débat sur la Loi Montagne et ses avatars dans la
législation nouvelle sur l'urbanisme, je vous rappelle ce qui
avait été dit lors du conseil national de la montagne,
le 19 mars 1999, à Ax-les-Thermes. M. Besson et vous-mêmes
M. le Premier Ministre aviez évoqué le toilettage de la
Loi Montagne, et suscité alors mes plus vives inquiétudes.
Tout en admettant
le retour des prescriptions particulières de massif - mais qui
les avait fait disparaître de la loi ? - je vous indiquais tous
les risques d'un toilettage en matière de protection de la montagne,
surtout de mitage des paysages et de pollution de sites vierges.
Fort de ce départ,
un groupe de travail "loi Montagne " fut constitué
au sein de la commission permanente du conseil national de la montagne
sous la présidence de M. Didier Migaud. Il n'alla pas très
loin. Le projet de loi dit "solidarité et renouvellement
urbains " allait fort utilement remplacer tous les toilettages
du monde et permettre, par voie d'amendements parlementaires ce qu'il
faut bien qualifier de reniement des lois d'aménagement du territoire.
Celles-ci, loi Montagne et loi Littoral, sont ravalées au rang
de dispositions particulières aux zones littorales et aux zones
de montagne !
Tout cela notre
conseil n'a pas eu le loisir d'en discuter, et la prétendue solidarité
urbaine est devenue l'exutoire de tous les lobbies attachés à
bétonner sans entraves.
Sachant que le
projet social de la loi SRU ne sera jamais appliqué et que, par
contre plus de 100 articles de la loi remettent en cause des jurisprudences
établies par l'action des associations et des citoyens, permettez-moi,
M. le Premier Ministre, de vous faire part de notre totale réprobation
sur la méthode choisie, celle d'un projet de loi détourné
de ses objectifs et voté dans l'urgence, pour ne pas dire la
précipitation électorale.
Cette loi est porteuse
de toutes les dérives du libéralisme en matière
d'urbanisme et d'occupation des sols, et tout particulièrement
dans les zones stratégiques où la spéculation foncière
est une donnée objective, comme dans nos zones touristiques de
montagne.
En substituant
aux plans d'occupation des sols, des documents moins contraignants sous
forme de plans locaux d'urbanisme et de cartes communales, la porte
est ouverte au laxisme en matière de protection des milieux naturels
et des terres agricoles. La loi Gayssot a substitué à
un document normatif (le POS) qui fixait des droits, un document de
présentation d'un projet urbain (le PLU). Le fait même
que les prescriptions qui étaient obligatoires pour les POS deviennent
facultatives pour les PLU attestent du basculement. Les maires des communes
de montagne pourront tout à la fois bénéficier
du toilettage camouflé de la loi Montagne, notamment par les
fameuses extensions limitées de l'urbanisation, mais surtout
établir des documents et des prescriptions qui ne gêneront
pas les porteurs de projets immobiliers.
Cette banalisation
de l'urbanisme opérationnel va à l'encontre de l'intérêt
général qui est aussi de protéger les milieux naturels
remarquables et de donner une nouvelle chance à l'agriculture
de montagne. Au moment où les services de l'état ne sont
plus en mesure de synthétiser les données des plans d'occupation
des sols - qui sont devenus les seuls enjeux des compétitions
communales - quel pourra être le poids des interventions citoyennes
dans l'élaboration des super plans d'aménagement de zones
? Quelle pourra être la chance d'un développement équilibré
face à la collusion des intérêts locaux aujourd'hui
sublimés et favorisés par le cumul des mandats de maires
et de parlementaires ?
En abordant l'année
2002, qui doit être l'année internationale de la montagne
pour un développement soutenable, je vous demande de rétablir
la vraie solidarité en matière d'urbanisme, fondée
sur un réel débat, permettant aux organisations citoyennes
d'exercer leur contre-pouvoir, à la justice de se prononcer dans
des délais rapides et de rétablir le bon sens en matière
de protection des paysages et de la nature. Il en va de la crédibilité
d'une politique responsable de l'aménagement du territoire qui
doit permettre aux zones de montagne un développement respectueux
de leurs atouts naturels, dont j'espère cette réunion
a pu illustrer la qualité.
Merci de votre
attention.