Capturer des loups pour les empêcher d'attaquer le bétail?

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"Alors que nos éleveurs pensent les uns après les autres à abandonner le métier, le gouvernement nous propose "d'éduquer" le loup. Il se moque de nous! Autant éduquer un requin, un serpent crotale ou un criminel multirécidiviste." Cette pantalonnade du maire (UMP) de Sisteron, Daniel Spagnou, illustre, derrière son goût douteux, le scepticisme et l'incompréhension qui prévalent après l'annonce du gouvernement de tester des captures de loups afin d'améliorer la coexistence entre le prédateur, protégé au niveau français et européen, et les éleveurs, victimes d'attaques de troupeaux de plus en plus nombreuses.

Mardi 5 février, la ministre de l'écologie Delphine Batho a ainsi révélé que onze parcs naturels régionaux allaient expérimenter des méthodes de capture utilisées aux Etats-Unis. "Il y a une nécessité d'éduquer l'animal", a-t-elle plaidé, à l'issue d'une réunion du groupe national loup qui a validé les grandes lignes du plan de gestion 2013-2017.

Lire: Un plan loup à géométrie variable

"La situation a changé en France: on n'a plus seulement quelques meutes comme il y a vingt ans mais 250 loups. On ne peut plus attendre des attaques pour agir, lâche Jean-Jacques Blanchon, chargé de mission biodiversité et agriculture à la Fondation Nicolas Hulot et à l'origine de la proposition. Il faut signifier à l'animal, et en particulier à ceux que l'on appelle les ‘mauvais loups', quel est son territoire et quel est celui de l'homme."

- Leurres Olfactifs

Mais comment parvenir à capturer ce superprédateur, intelligent, mobile et aux cinq sens surdéveloppés? "Attraper un loup sans le tuer est la chose la plus difficile qu'il soit", reconnaît Antoine Nochy. Cet ingénieur écologue, formé à la technique dans le parc de Yellowstone aux Etats-Unis, est l'homme qui devrait diriger sur le terrain l'expérience française, avec l'aide du trappeur américain Carter Niemeyer, véritable star dans le milieu avec à son actif 300 captures au cours de sa carrière.

"Il faut intriguer, inquiéter et séduire le loup, explique Antoine Nochy. C'est un travail de patience pour retrouver sa trace, disposer un piège et attendre qu'il morde. On doit amener le prédateur, qui évolue dans un périmètre de 300 km2, à venir dans un espace de 30 cm2."

Le cœur de la technique: des leurres olfactifs. De l'urine, des excréments ou de la viande doivent ainsi attirer le loup vers un système de pièges enterrés. Une mâchoire en caoutchouc se refermera alors sur sa patte, tandis qu'une chaîne longue de 2 ou 3 mètres lui permettra de se déplacer sans se blesser. "Il s'agira alors de l'immobiliser avec un lasso, de l'anesthésier et de lui poser un collier équipé d'un GPS, avant de le relâcher, livre Jean-Jacques Blanchon. L'animal, stressé, va comprendre qu'il ne doit plus attaquer sur ce territoire et la meute ne reviendra pas."

Au-delà de l'avertissement, l'expérience est censée avoir une portée préventive. "Les données GPS vont nous permettre de comprendre le comportement du prédateur et ses déplacements, afin de prévenir les éleveurs de son approche", poursuit Jean-Jacques Blanchon. Le chargé de mission, qui espère former rapidement des piégeurs avec l'aide de l'université de Montpellier 2 et du CNRS, table sur deux équipes de deux personnes dans chacune des quatre régions concernées par la présence du loup.

- Animal Sauvage

Malgré les compétences avancées, l'idée ne convainc pas au sein du Groupe national loup. L'instance, réunissant parlementaires, élus, agriculteurs, chasseurs, associations de protection de la nature et représentants de l'Etat, regrette que la proposition ait été reprise "à la dernière minute" par la ministre et ce, sans concertation.

"Cette expérimentation va à l'encontre du fonctionnement naturel du loup: on ne peut pas lui apprendre que tel alpage ou telle montagne est chez lui, et telle autre non. C'est un prédateur qui chasse où il veut, ajoute Jean-David Abel, représentant de France Nature Environnement (FNE) au sein du groupe. Le dispositif est ailleurs difficilement applicable en France, où l'animal est présent dans 29 zones de présence permanente, des endroits montagneux, broussailleux et difficiles d'accès."

"C'est le seul instrument qui fonctionne pour assurer la cohabitation avec le loup, et c'est pour cela qu'il est utilisé aux Etats-Unis et expérimenté en Suède, Finlande, Espagne et Italie", rétorque Jean-Jacques Blanchon.

- Ils reviennent

En réalité, si les Etats-Unis procèdent bel et bien à des captures de loup depuis des années, la finalité réside moins dans la protection des troupeaux que la recherche scientifique. Les Américains ont capturé pour la première fois 64 loups au Canada en 1995 pour repeupler le parc de Yellowstone, au sein duquel les prédateurs avaient été massivement chassés jusqu'à frôler l'extinction. Depuis, la célèbre réserve du Wyoming a capturé et équipé de colliers GPS 400 prédateurs, essentiellement à l'aide d'hélicoptères depuis lesquels des trappeurs tirent des fléchettes anesthésiantes.

"Nous avons réussi à inverser les habitudes comportementales de certains loups grâce à un conditionnement aversif utilisant des captures, des balles en caoutchouc ou des bombes au poivre, livre Daniel Stahler, biologiste en charge du projet loup à Yellowstone. Mais ce conditionnement doit intervenir au moment où le loup agit: la technique ne fonctionne pas si vous le capturez plusieurs jours après la prédation."

"En capturant les prédateurs près du bétail, vous pouvez les amener à rester à l'écart pendant un jour ou deux; mais s'ils ont faim, ils reviendront, poursuit-il. Tant que les humains, le bétail et les loups cohabitent dans le même écosystème, il n'existe pas de méthode permettant d'éliminer toute prédation."

"La capture ne peut pas forcer l'animal à quitter un territoire sur lequel il s'est installé ni l'éduquer à ne pas attaquer un troupeau, confirme Carter Niemeyer, qui rappelle que dans le Wyoming, l'Idaho et le Montana, les éleveurs et chasseurs tuent les loups avec lesquels ils ne parviennent à cohabiter. Mais elle peut aider les éleveurs à repérer et éviter les loups, en positionnant des chiens près des troupeaux."

- Entre 2.000 et 6.000 dollars par loup

Reste que même après dix-huit ans d'expérience outre-Atlantique, la technique requiert encore du temps, de l'argent et du matériel sophistiqué. "Les loups sont difficiles à capturer à l'aide de pièges au sol, assure l'ancien expert du Service américain de la pêche et de la faune sauvage. L'utilisation d'un hélicoptère fonctionne mieux, mais s'avère très chère." Coût de l'opération: entre 2.000 et 6.000 dollars par loup, en fonction du type de GPS utilisé – d'une durée de vie de deux ans en moyenne.

Des limites qui avaient conduit le parc du Mercantour, en France, à arrêter une expérience similaire. De 2007 à 2011, le parc naturel régional a ainsi capturé quatre loups, deux grâce à des pièges au sol et deux via l'utilisation d'hélicoptères, afin d'étudier l'impact du prédateur sur les proies sauvages. Malgré l'emploi de deux personnes à temps plein pendant quatre ans, les colliers GPS se sont avérés difficiles à tracer dans de nombreuses zones sans réception satellite. Au final, le Mercantour a perdu la trace des quatre loups, disparus ou braconnés.

"On donne à la société humaine l'illusion de contrôler une espèce sauvage, déplore Jean-David Abel, de FNE. La seule cohabitation possible passe par une meilleure protection des troupeaux et, en tout dernier recours, des tirs, strictement encadrés par l'Etat."

Auteur: Audrey Garric
Source: Le Monde Planete du 9 février 2013