La brebis tient sa revanche sur les grands prédateurs : l'ours des
Pyrénées et le loup des Alpes sont priés de se replier. Le sort des ours slovènes
implantés dans les Pyrénées en 1996 a été tranché par les députés, lors de la
discussion du projet de loi sur la chasse, qui doit être voté lors d'un scrutin solennel
mardi 4 avril ( Le Monde du 30 mars). « Compte tenu de la
perturbation qu'ils génèrent (...), il sera procédé à leur capture »,
indiquait l'amendement voté à l'initiative du député (PS) de l'Ariège Augustin
Bonrepaux.
Les six ours n'ont guère obtenu de soutien des autorités. La ministre de
l'environnement, Dominique Voynet, a admis le manque de concertation avec les bergers et
s'est rendue aux arguments des anti-ours, même si dans un entretien dans le Journal du
dimanche, elle corrige ses déclarations précédentes (lire page 15).
OBSESSION ATAVIQUE
Pour l'heure, les loups ne sont pas atteints par les attaques des élus montagnards.
Mais ils peuvent, eux aussi, numéroter leurs abattis. Le député (RPR) des
Alpes-Maritimes Christian Estrosi a tenté, au cours du même débat, de les inscrire sur
la liste des animaux à éradiquer. Sa demande a été rejetée, mais la question devrait
réapparaître lors de l'examen du projet de loi au Sénat.
Six ours et trente loups. Tel est l'enjeu du débat tumultueux qui oppose depuis
plusieurs années les défenseurs de la nature aux éleveurs d'ovins, relayés par les
élus alpins et pyrénéens. Ces derniers affirment l'incompatibilité des espèces
sauvages avec l'élevage. Réponse des écologistes : pour une brebis tuée par un
loup ou un ours, dix meurent des attaques de sangliers ou de chiens errants. « Propagande ! »,
réfutent les éleveurs. Et quand bien même, l'obsession atavique persiste : leurs
aïeux ont eu trop de mal à se débarrasser de ces espèces dévastatrices. Que les
prédateurs aient été introduits artificiellement (comme les ours), ou qu'ils soient
réapparus spontanément, comme les loups arrivés d'Italie dans le parc national du
Mercantour en 1992, ils ne sont pas les bienvenus. Un prédateur dans un alpage, c'est « un chien dans un jeu de quilles, un renard dans un poulailler »,
martèle Denis Grosjean, secrétaire national de la Fédération nationale ovine .
« La nature n'est pas un jardin », répond Pierre Athanaze, membre
de France Nature Environnement. « Le rural profond veut aseptiser la
nature », reprend Gérard Charollois, président de l'Association pour la
protection des animaux sauvages (Aspas). Conscients toutefois des dégâts provoqués par
leurs protégés, les écologistes brandissent force mesures de prévention. Le célèbre
chien patou, protecteur des troupeaux, est appelé au secours des brebis. La présence
permanente du berger auprès des bêtes fait également déguerpir les prédateurs.
Réponse, une fois encore, sans appel : « L'élevage s'est adapté à la
disparition des prédateurs. Les troupeaux comptent plusieurs milliers de bêtes laissées
en liberté : les surveiller coûterait une fortune », pour Denis Grosjean.
Les bergers refusent de modifier leur mode de vie pour satisfaire ce qui est considéré
comme un caprice de gens des villes, fascinés par une nature sauvage dont ils ne
subissent pas les conséquences. Ils rappellent que l'élevage extensif assure la survie
de la montagne menacée de désertification.
Le débat, déjà vif, devient acerbe quand on parle d'argent. Les montagnards
contestent les millions de francs investis dans le maintien des espèces protégées.
Les écologistes évoquent les primes allouées pour chaque brebis tuée, et ne se
privent pas de rappeler que le pastoralisme en crise survit grâce à des aides de l'Etat
et de l'Union européenne. Certains soupçonnent même les éleveurs et leurs
organisations syndicales d'utiliser le combat contre les médiatiques prédateurs pour
attirer l'attention de l'opinion sur leurs problèmes économiques. Les bergers, en tout
cas, ne se laissent pas convaincre par ceux qui pensent que le retour des loups et des
ours, ou des lynx, est « une chance », y compris du point de vue du
tourisme, pour l'Hexagone.
Côté loups, la saga des bêtes sauvages, déjà riche d'innombrables rapports,
programmes et études s'enrichit d'un nouvel épisode : le plan gouvernemental pour « la
préservation du pastoralisme et du loup dans l'arc alpin ». Ce plan, en débat
jusqu'au 30 avril, est composé de « propositions », rappelle
l'entourage de Dominique Voynet. Il restreint le territoire du loup et définit deux types
de zones. Dans les premières (les parcs du Mercantour et du Queyras), les bêtes seront
tolérées et les éleveurs aidés à lutter contre la prédation. Dans les secondes, les
loups pourront être capturés ou abattus « lorsque des dégâts importants sont
constatés sur les troupeaux ».
DIRECTIVE « HABITATS »
Ce plan, compromis entre les ministères de l'agriculture et de l'environnement, ne
satisfait aucun des deux bords. Les éleveurs relèvent la ségrégation entre « zone
occupée » et « zone libre », où les coups de feu seront
permis. Coté pro-loup, on y voit un « plan d'éradication déguisé ». « Le tir est autorisé. Le zonage cherche à geler la recolonisation du
loup », affirme Bertrand Sicard, membre du groupe Loup France.
Le débat autour du plan risque de s'envenimer. Chacun des deux camps est aiguisé par
l'affaire des ours rayés de la carte à l'Assemblée. Sur ce front, les associations
devraient en appeler aux juges, en s'appuyant sur la convention de Berne relative à la
conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe et sur la directive
européenne « Habitats ». Toutes deux imposent à la France de protéger la
faune et la flore sauvages, mais établissent des distinctions entre les espèces. Le
loup, réapparu spontanément, est mieux protégé que l'ours. Ses défenseurs s'unissent
malgré tout contre le plan gouvernemental et préparent les pancartes pour leurs
prochaines manifestations : elles suivront les nouvelles démonstrations des
éleveurs de moutons, qui ont eu lieu samedi et dimanche à Salon et à Aix-en-Provence.
Les « anti » ont tiré les premiers et remporté une victoire symbolique. Le
camp d'en face fourbit ses armes.
Auteur : Gaëlle Dupont
Source : Le Monde du mardi 4 avril 2000