Desmontando al oso - Déconstruire l'ours

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Ce que l’on sait de l’ours est fait de clairs obscurs. Le biologiste Javier Naves, spécialiste de l’espèce, les envisage dans cet entretien: ce que nous savons, les questions sans réponse et leurs conséquences sur la conservation

Ce que l’on sait de l’ours est fait de clairs obscurs. Le biologiste Javier Naves, spécialiste de l’espèce, les envisage dans cet entretien: ce que nous savons, les questions sans réponse et leurs conséquences sur la conservation.

L’ours brun est l’un des symboles de la nature des Asturies, le plus médiatique, celui qui a le plus concentré l’intérêt des scientifiques et des politiques dans les trois dernières décennies. Deux fondations portent son nom et se consacrent à l’étude et/ou la conservation de l’espèce, avec des perspectives et des objectifs différents. Une ONG y consacre d’abondantes ressources. Et de nombreux scientifiques le suivent à la trace sur la Cordillère cantabrique. Et pourtant, la maternité imprévue de «Tola», l’une des ourses captives dans la parc clôturé de Proaza et Santo Adriano, puis la mort du petit à sa naissance, ont fait surgir une question: que savons-nous vraiment de la vie des ours?

Pour y répondre, nous avons interrogé Javier Naves, biologiste du CSIC /équivalent du CNRS/ et expert officiel des populations cantabriques de l’espèce sur laquelle il travaille depuis des décennies et à laquelle il a consacré sa thèse de doctorat et une multitude de publications scientifiques.

«Pour commencer, nous pouvons dire que nous savons beaucoup de choses, mais sur plusieurs aspects certaines connaissances sont meilleures que d’autres. Par exemple sur la structure et la viabilité génétique de la population nous avons récemment actualisé et amélioré ces connaissances. Ensuite, et pour faire références aux dizaines d’articles qui chaque année paraissent dans les journaux à propos de milliers de choses différentes – est-ce qu’on a trouvé et recueilli un ours, réintroduit un autre, arrêté un braconnier, les ours font-ils ceci, mangent-ils cela? – il est très probable que nous en savons beaucoup moins que ce que nous pensons ou imaginons.»

Un des aspects les mieux connus de la vie de l’ours cantabrique est la démographie. «Nous en savons beaucoup, mais à la fois bien … et mal. Même s’il a été l’objet de nombreux débats dans les revues scientifiques, le suivi des ourses suitées nous a apporté de nombreuses informations, y compris sur la nature des données: celles dont nous pouvons être certains, et les incertitudes quant au nombre d’animaux et à son évolution ces dernières années.» Naves souligne aussi la masse d’informations accumulées sur les relations entre l’ours et son milieu, son habitat, en particulier «ses habitudes alimentaires et la façon dont elles ont évolué». Mais il précise que tout cela dépend aussi directement « de ce que nous ignorons à cause de ce manque majeur: l’absence de radio marquage des ours. Faute de cet outil, il nous a fallu être plus subtil en d’autres domaines.» C’est ainsi qu’on a pu acquérir une connaissance détaillée des sources d’alimentation, de grande importance par ses conséquences.

«Une des caractéristiques les plus importantes de nos populations, c’est qu’elles se situent aux limites méridionales de l’espèce, ce qui les place dans une situation de stress biologique. C’est un phénomène important parce qu’il permet que se manifestent des phénomènes de changement qui, plus au Nord, seront détectés plus tardivement.» Par exemple: «Certaines sources d’alimentation de caractère plus septentrional comme les myrtilles ont peu à peu perdu de leur importance dans la diète de l’ours au cours des dernières 20 – 25 années. En échange, les Prunus, les cerises et les pommes ont joué un rôle plus important. Cela peut s’expliquer par des changements locaux, mais plus probablement doit être mis en relation avec des changements globaux, au niveau climatique. Sur ce plan, ce que nous avons apporté à la connaissance de nos populations d’ours est aussi une contribution à celle de l’espèce au niveau international.»

Un des aspects sur lesquels travaille Javier Naves et qui l’intéresse particulièrement est le disponibilité de l’habitat potentiel de l’ours. « On a apporté des contributions importantes à la question de la quantité d’espace ou d’habitat dont notre population d’ours est susceptible de disposer, très dernièrement encore dans une publication il y a quelques mois.» Et la conclusion essentielle est la suivante: «Il est devenu évident que c’est là que se situe la limite la plus importante pour la récupération de l’espèce, l’étendue de l’habitat dont nous allons disposer pour elle à l’avenir. Nos ours vivent actuellement sur environ 7.000 km2 et la disponibilité pourrait être de 15 ou 18.000, tout ceci entre guillemets parce que tout dépend de la façon dont va évoluer la tolérance humaine à l’égard de cet animal. Mais à l’avenir cette réalité va être, ou peut être, le facteur limitant pour la croissance de la population.»

Ce qui conduit inévitablement à la question du nombre: combien d’ours pourrait accueillir le territoire disponible dans les monts cantabriques? «Donner un chiffre ne serait pas scientifique», répond Naves bien qu’il ne fuie pas le problème: «Nous avons posé la question à la SECEM (Société Espagnole d’Etude des Mammifères) qui nous a présenté une communication sur ce point. Quand nous parlons de ces km2 nous ne pouvons envisager davantage que quelques centaines d’ours. Nous nous situerions toujours alors dans une fourchette qui, sur la plan de la biologie d’un carnivore, serait un facteur limitant. C’est cela qui pourrait être le grand handicap dans l’avenir, surtout si nous tenons compte de quelque chose que nous ignorons: comment cet habitat disponible va-t-il évoluer pour peu que change notre tolérance envers ces animaux ou que cet habitat se dégrade en fonction du changement climatique. C’est là que se situe l’une des inconnues de nos connaissances pour récupérer l’espèce à court ou moyen terme.»

Cette réflexion en amène une autre: avons-nous alors atteint la limite où nous aurions une population d’ours toujours en situation de risque, en perpétuelle instabilité? «C’est une bonne façon de poser le problème. Il se dit que la population d’ours va bien, il y a beaucoup d’enthousiasme à ce propos. Mais si l’on demande où va-t-on mettre 2000 ours, aussitôt le murmure se transforme en silence et les gens commencent à se lever de leur chaise, surtout lorsqu’il s’agit de gestionnaires et d’administratifs (1). Il ne s’agit plus là d’une poignée d’animaux dont nous sommes capables de prendre soin, nous parlons alors d’une population apte à vivre par elle même sans risque d’extinction. Quoi qu’il en soit, il est bon d’envisager la question parce que nous pouvons nous trouver confrontés à des difficultés pour maintenir une population fixe. C’est une réalité qu’il faut assumer, il faut être honnête et dans la façon de penser et dans le message, y compris pour modifier peu à peu notre façon de fonctionner. Si l’on compare le premier plan ours et l’actuel, on voit bien qu’on reste pratiquement dans la même zone, avec un appendice à Allande et Tineo, à peine plus».

Cette ultime affirmation contraste apparemment avec les informations récentes et répétées sur la présence d’ours dans des lieux éloignés de leur aire de distribution habituelle, qui les font arriver quasiment jusqu’à la côte Ouest. « Une des choses qui serait sans doute utile, répond Javier Naves, et l’Administration peut en avoir les moyens, serait de faire le point sur toutes ces nouvelles publiées dans la presse à propos de l’occupation par les ours de nouveaux territoires, Castropol, La Bobia, El Mulleiroso, Tineo, Grado, Oviedo… Au moins faire la clarté sur ces informations, les systématiser, les ordonner, cela nous donnerait un cadre précis. Il est certain que des ours font une apparition dans ces zones. La population actuelle est un peu plus nombreuse qu’il y a 10 ou 15 ans et cela doit se manifester par l’arrivée de bêtes en d’autres lieux bien que le cas se produisait déjà antérieurement: à mon avis, on trouvait déjà des petits points de présence à La Bobia, et sur l’autre versant, dans les montagnes du León et au Nord de Zamora. Depuis « la période de plomb », celle où la population d’ours avait atteint le fond à la fin des années quatre vingt et début quatre vingt dix, les ours sont arrivés dans de nouvelles zones et le même transit a augmenté entre les deux populations. On a même des nouvelles d’ours à proximité de Burgos, d’Orense, de Fonsagrada …»

Mais ce qu’on ignore c’est ce que deviennent ensuite ces ours errants, et pas davantage ce que deviennent ceux qui naissent chaque année dans la cordillère. « Là, les portes de la connaissance nous sont fermées, nous avons beaucoup de difficultés pour le savoir. L’impossibilité de marquer les animaux pour les suivre a pour conséquence que nous ignorons certaines choses. Tous les ans naissent entre 30 et 40 ours, Que deviennent-ils? Où vont-ils? Que se passe-t-il avec ceux qui vont à La Bobia, à Orense, à Mulleiroso? On l’ignore. Pourquoi si peu de ces 30 ou 40 atteignent-ils l'âge adulte? Evidemment, davantage ont atteint cet âge ces dernières années et la population augmente, mais beaucoup n’y arrivent pas. Quant à la mortalité … un voile la recouvre, à la fois parce c’est le domaine le plus difficile à étudier, et que l’Administration a du mal à mettre le problème sur la table, ça fait toujours davantage plaisir de parler de naissances plutôt que d’ours qui meurent. C’est la partie la plus dure, pour employer ce mot, de la conservation, peut-être la plus difficile à traiter et gérer.» Sur ce plan, Naves établit un parallèle avec ce qui se passe dans les espaces protégés et ceux qui ne le sont pas: « Gardes, mesures de conservation, suivi, tout cela on le trouve dans les espaces protégés, ceux qui ne le sont pas sont terre inconnue.»

Par contre Javier Naves assure que ce qui est bien connu c’est la biologie de la reproduction, dont on a beaucoup parlé ces derniers temps suite à l’échec de la maternité de «Tola», mais il précise: «Il est difficile d’intervenir sur ce plan. Même chose avec les pandas: on connaît bien l’aspect biologique, mais c’est beaucoup plus compliqué en ce qui concerne reproduction assistée, fertilisation, induction de l’ovulation etc. On connaît le fonctionnement biologique parce qu’il a été étudié sur certains sites et par les travaux de Santiago Borragán effectués dans le parc de Cabárceno, et ceux de l’équipe de l’Ecole Vétérinaire de León. Mais ce qui se passe dans la nature c’est autre chose. Les ourses retardent l’implantation du blastocyte /cellule embryonnaire non encore différenciée, aux premiers stades de sa division/ jusqu’en novembre, la gestation dure ensuite de six à huit semaines, et elles mettent bas en février. Tout dépend de l’état de la mère: si elle a suffisamment engraissé le blastocyte s’implante et se développe, si ce n’est pas le cas l’embryon se résorbe ; et c’est compliqué à savoir.»

Naves relie ce problème à celui de la position marginale des populations d’ours cantabrique à l’intérieur de l’aire de distribution de l’espèce: « Notre population est de petite taille et connaît des conditions écologiques spéciales. Elle est non seulement en situation de risque par sa petite taille mais parce qu’elle se trouve en situation de stress car elle vit à la frontière naturelle de l’espèce. Comment se manifeste ce stress? Comment affecte-t-il la reproduction des ours et sa réussite par rapport à une population se trouvant dans des situations meilleures?» (2)

Pour récapituler, Naves souligne: « Il y a des éléments de base dont il faut essayer d’empêcher qu’ils ne disparaissent ou se détériorent, comme le suivi de la population à l’œuvre depuis des années», et il pointe une piste de travail qui fournirait des informations essentielles: le comportement des ours. « Ce serait très intéressant sur le plan de la conservation, actuelle et future. Si nous devons avoir davantage d’animaux, outre la question de savoir où nous allons les mettre, se pose celle des relations entre eux et nous. Nous avons derrière nous quarante ans de conservation. Les ours pourront-ils davantage avoir confiance en nous? Accepteront-ils que la présence humaine soit plus proche? Certains individus s’habitueront-ils plus que d’autres à cette présence? Y a-t-il des animaux qui provoquent plus de dommages à l’agriculture et l’élevage que d’autres? Sur le plan de la conservation, ces questions présentent de l’intérêt et dessinent tout un axe de travail.»

Traduction: B. Besche-Commenge ASPAP/ADDIP

(1) Note du traducteur: sur ce chiffre, assurant à long terme la viabilité d’une population d’ours, voir le compte rendu des travaux récents des généticiens auxquels Naves fait référence au début de cet entretien: La Cordillère compte 200 ours et s’éloigne du risque d’extinction de l’espèce « à court terme».

(2) Note du traducteur: sur le problème de la relation entre milieu, disponibilités alimentaires et reproduction, voir, de Javier Naves et autres auteurs, traduction d’extraits de « Évaluation du risque d’extinction, de l’ours brun dans la Cordillère Cantabrique », Ecological Applications, 68(4), 1998, pp. 539–570 © 1998 by the Ecological Society of America (original en anglais)