- A) Introduction
Suite au 2° Congrès des constructions à couverture végétale, qui vient d'être organisé par le gouvernement des Iles Canaries et l'Association Culturelle Pinolere, Juaco Lopez Alvarez, Directeur du Museo Etnografico del Pueblo de Asturias à Gijon, a publié dans "La Nueva Espana" un article en deux parties. La première rendait compte de façon générale du congrès, la seconde, que nous traduisons ici, concerne spécifiquement Somiedo et, dans les estives, les "branas", ces hameaux de "teitos", granges de pierre au couvert très pentu fait de genêt à balai (cytisus scoparius) ou de paille de seigle, que les éleveurs utilisaient traditionnellement.
Cette seconde partie est très intéressante dans le cadre de la polémique que, sur l'instigation de M. Caussimont du FIEP, M. Hartasanchez, le président du FAPAS asturien (Fonds de Protection des Animaux Sauvages), vient fort maladroitement de tenter suite aux travaux que j'avais publiés sur la réalité socio-économique du tourisme et la démographie des zones historiques de l'ours dans les Asturies, entre autres Somiedo.
On se reportera à "Ours et
développement touristique, le FAPAS répond" pour mes analyses, la réponse hors sujet de M. Hartasanchez, ma réponse à sa réponse; j'espère que M. Caussimont la lui a transmise,
et note le fait suivant: si le FIEP, ADET et FERUS ont glorieusement mis en ligne ce brillant hors sujet, ils ont tout aussi brillamment "oublié" d'y joindre mes articles
incriminés ce qui, j'en conviens, est le meilleur moyen de donner au lecteur de quoi forger son propre jugement! Quant à ma réponse...
Je note à l'inverse ceci: sur son site, l'une des cibles favorites de ces trois associations, M. Louis Dollo, a lui mis en ligne l'ensemble du dossier. Mais c'est sans doute vrai
puisqu'ils le disent: le malhonnête c'est M. Dollo (un peu excessif parfois, mais ça c'est le tempérament! Faut savoir voir le fond)
Pour revenir à Somiedo, on trouvera en une ligne et demi dans cet article, et sous la plume du Directeur du Musée Ethnographique du Peuple des Asturies, la même analyse que je développais à partir des statistiques officielles de la Principauté asturienne, je le cite: "La population de Somiedo a augmenté son revenu par habitant ces dix dernières années, mais cela n'a évité ni sa diminution ni son vieillissement". C'est ce que nos associations françaises, satellites de la DIREN, et M. Hartasanchez (qui lui sait bien que c'est faux, mais...) appellent: "l'ours moteur de développement"!
On y trouvera aussi ce qu'il en est réellement aujourd'hui de ces hameaux de granges et de leur avenir: ils ne jouent plus aucun rôle dans les nouvelles formes d'élevage, uniquement bovin en outre, qui persistent à Somiedo. Et cette perte d'usage réel devient un problème pour leur conservation. Seule solution: la "muséification". Je n'ai aucune légitimité à fournir quelque avis que ce soit sur l'avenir de Somiedo, mais, de fait, cette transformation en musée me paraît à moi aussi un moindre mal: il serait en effet désolant que ces témoins de l'intelligence pastorale disparaissent comme tant d'autres ailleurs, y compris dans les Pyrénées.
Mais la transformation en musée de ce qui était d'abord fonctionnel, ce qui permettait de produire de quoi faire vivre les producteurs et faire manger les autres, cette transformation peut difficilement être étendue à l'ensemble d'un massif, qu'il soit cantabrique ou pyrénéen. En ces temps compliqués, où les formes industrielles de production sont il me semble assez fortement questionnées, les zones de montagne doivent au contraire retrouver leur rôle historique: une production à partir de races locales, adaptées à un milieu qu'elles ont contribué à créer en même temps qu'il les façonnait elles mêmes, et des modes traditionnels de concevoir tout cela mais adaptés au monde et aux savoirs modernes. Ce n'est pas le rôle d'un musée.
Dans cette muséification d'un patrimoine unique et remarquable, il faut souhaiter que Somiedo réussisse enfin à inverser la courbe de sa démographie et de son vieillissement, catastrophique en continue malgré la présence exhibée des ours, invisibles mais présents, et une augmentation du revenu par habitant qu'expliquent sans doute davantage les pensions de retraite ou de pré-retraite (un mal aussi asturien que français) qu'une économie dynamique. Ce n'est certainement pas, redisons-le, un "modèle" pour l'ensemble des monts cantabriques, pas plus que pour les autres massifs européens.
B.Besche-Commenge - ASPAP/ADDIP - 19 octobre 2009
- B) Traduction
La Nueva Espana 16-10-2009
A Somiedo, plus personne ne passe la nuit dans les cabanes, ce qui était leur principal usage
Tout compte fait, la plus grande surprise de ce congrès a été de constater la singularité des constructions à couverture végétale de Teverga et Somiedo, et, surtout, de vérifier
qu'à l'heure actuelle c'est à Somiedo que l'on trouve l'ensemble de ces constructions le plus nombreux, le plus caractéristique et le mieux conservé de toute la péninsule ibérique.
Il y a 30 ou 40 ans on trouvait un grand nombre de telles constructions, ou d'autres faites uniquement avec des arbres sauvages, dans la Sierra de Gredos, à Soria et Guadalajara, à
Cordoue, Huelva et Cadiz, dans de vastes régions du Portugal etc... Toutes ont disparu en grande partie, ou restent en l'état de ruines. Dans notre massif cantabrique aussi, un
autre grand groupe de bâtisses à couverture réalisée avec des plantes cultivées, particulièrement de la paille de seigle, n'a pas connu un meilleur sort: c'est ainsi par exemple
que les nombreuses constructions étudiées entre 1982 et 86 par José Luis Garcia Grinda dans la Province de Leon ont presque complètement disparu.
Toit de genêt à balai à La Pornacal (Somiedo). A côté, toit à Tuiza (Teverga).
A Somiedo, restent debout environ 300 cabanes couvertes de genêt à balai, une demi douzaine de maisons, un moulin à El Valle et un "horreo"(1) à Urria (qui fut acheté par la municipalité de Somiedo en 2008). Les branas de La Pornacal et les trois maisons de Veigas et Mumian, qui appartiennent à l'écomusée de Somiedo, ainsi que les branas et abreuvoirs en bois de la vallée de Saliencia, constituent un patrimoine ethnographique, historique et paysager si exceptionnel qu'il n'a laissé indifférent aucun des participants au Congrès de Pinolere.
La conservation des constructions à Somiedo n'est le fait ni du hasard, ni de la marginalisation, ni de la pauvreté. Ce n'est pas ici le lieu pour raconter l'histoire de ces constructions, mais plutôt pour signaler deux raisons de leur conservation. La principale est la fonctionnalité de ces cabanes, leur faible coût, ainsi que leur adaptation au milieu naturel et à certaines nécessités bien précises.
Presque jusqu'à aujourd'hui ces cabanes ont été utilisées pour l'élevage du bétail, et les toitures en genêt se sont conservées parce qu'elles sont la meilleure solution pour avoir des couvertures très inclinées qui permettent de disposer de greniers très grands, où l'on emmagasine une grande quantité de foin. Une telle couverture ne peut se faire en tuile; on pourrait l'envisager en tôle de fibrociment, mais elle ne présenterait pas les mêmes qualités thermiques que le genêt, et le foin se conserverait moins bien.
Une seconde raison, moins importante, doit être prise en compte. Depuis les années 80, les teitos sont devenus un des signes identitaires du concejo de Somiedo. Leur image a été utilisée dans des campagnes de promotion touristique, et leur silhouette apparaît dans le logotype du parc naturel de Somiedo, créé en 1988. Depuis lors, la municipalité de Somiedo a manifesté son intérêt pour ces constructions en gérant et supervisant l'usage des subventions qu'attribue, depuis 1986, la Conseil à la Culture pour aider à maintenir les constructions à couverture végétale dans les Asturies. En 1994, la municipalité s'est inscrite dans le programme européen "Life" destiné à récupérer sept branas et leurs constructions.
Le rôle de la municipalité de Somiedo a été important, surtout si on la compare à d'autres municipalités asturiennes qui purent aussi bénéficier des mêmes subventions mais ne virent aucun intérêt à conserver ce patrimoine et assistèrent, impassibles, à la disparition d'horreos et de maisons couvertes de paille de seigle, certaines très caractéristiques comme la maison Vaqueiro à Branas d'Arriba (Cangas del Narcea).
Ces deux raisons expliquent que les construction couvertes en genêt de Somiedo soient parvenues jusqu'à nos jours, mais ces dernières années la première d'entre elles a considérablement changé, et si l'on ne prend pas les décisions voulues la même chose peut se produire que dans les autres régions d'Espagne.
La population de Somiedo a augmenté son revenu par habitant ces dix dernières années, mais cela n'a évité ni sa diminution ni son vieillissement ; en outre, la façon de tenir le bétail a changé. La majorité des cabanes ne sert plus à rien pour les habitants de Somiedo. Il y a toujours beaucoup de vaches dans la montagne, mais le bétail n'est plus gardé dans les cabanes. Plus personne à Somiedo n'y passe la nuit, plus personne ne trait dans les branas, et les cabanes ont cessé d'être occupées. En définitive, la raison principale pour laquelle elles se sont conservées à quasiment disparu, et c'est pour elles le début de la fin.
Tout cela est bien connu de la municipalité de Somiedo, et c'est pour cela qu'aujourd'hui une campagne de conservation est lancée par la Conseil à la Culture et au Tourisme. On a fait un nouvel inventaire de ces constructions, et une étude de l'état de chacune d'elles afin de les arranger. C'est bien, mais il faut tenir compte que dans le cas d'un patrimoine aussi fragile, qui requiert un entretien constant, il n'est pas suffisant d'investir de l'argent sur une seule campagne.
Lors du Congrès de Pinolere nous avons vu comment la municipalité de Melon (Orense) répara en 2002 dans le village de Vivenzo dix sept "cabaceiros" (horreos faits de bâtons entrecroisés et couverts de paille) et comment aujourd'hui, sept années plus tard, deux seulement restent en bon état; mais à Somiedo même on remit en état les vingt cabanes de la brana de Mumian en 1994, toutes aujourd'hui offrent un visage d'abandon évident et leur avenir est inquiétant.
Nous sommes à un moment décisif pour ce patrimoine. La responsabilité des administrations chargées de leur protection est grande parce que, comme nous l'avons dit, il ne s'agit pas seulement d'un patrimoine local, mais d'un patrimoine unique en Espagne. Les décisions à prendre seront décisives pour son avenir. Les mesures ne peuvent pas uniquement être orientées vers la réparation des bâtiments aux couvertures en genêt. A partir d'aujourd'hui, leur conservation ne sera plus liée à leur usage productif, mais sera basée sur des raisons sociales et culturelles.
Afin d'aboutir il est nécessaire d'agir sur deux fronts: d'un côté, il faut rendre ces constructions "prestigieuses" (comme on l'a fait dans d'autres pays européens et notamment
à Pinolere où le rôle de l'école et de l'association culturelle ont été décisifs), et pour cela il faut informer la société et la rendre consciente de leurs valeurs ethnographiques,
historiques, architecturales, historiques, paysagères et touristiques.
D'autre part, il faut tenir compte de la nécessité de sélectionner les branas et les constructions les plus représentatives auxquelles la plus grande attention sera consacrée,
parce que l'expérience montre que l'on ne peut pas tout sauver. Dans certains cas, il faudra muséifier ces constructions, dans d'autres leur chercher de nouveaux usages et, dans
certains cas, il faudra former de jeunes couvreurs.
En définitive, les teitos de Somedio ont besoin d'un plan bien pensé et basé sur la réalité, qui facilitera la préservation en continu de ce patrimoine qui, comme nous l'avons découvert au congrès de Pinolere, est exceptionnel dans toute la péninsule ibérique.
Traduction: B.Besche-Commenge - ASPAP/ADDIP - 19 octobre 2009
Source: Lne.es "Nueva Quintana - Viernes 16 de octubre de 2009