Commentaires sur le voyage de l'ADET dans les Monts Cantabrique

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L'ADET en promenade dans les Asturies
ou l'ADET face à son échec

Le document espagnol que nous avons traduit concerne un récent voyage que quatre membres de l'ADET viennent d'effectuer fin octobre dans les Asturies. Pas un mot sur le site de l'ADET, je crois comprendre pourquoi! Par contre, le FAPAS (Fondo para la proteccion de los animales salvajes = Fonds de protection des animaux sauvages) a publié sur son site, le 30 octobre, un compte rendu de ce voyage d'étude (merci aux amis asturiens qui m'en ont informé).

Je propose ici simplement la traduction de ce compte-rendu et, ci-dessous quelques brefs commentaires qui situent le contexte. Il faut cependant savoir, au préalable, qu'il n'y aucune commune mesure entre les raisons historiques qui ont conduit l'ensemble des Monts Cantabriques a conserver une population d'ours autochtone, et la situation pyrénéenne; aucune commune mesure non plus entre les zones précises où les ours étaient cantonnés jusqu'à présent notamment dans les Asturies, le statut de ces zones, les activités pratiquées ou non, et le milieu pyrénéen qui, lui, dans sa globalité comme dans ses particularités valléennes, ne présente nulle part de telles zones.

Je me limiterai à trois, nous aurons l'occasion de revenir en détail à la fois sur le fond des problèmes et sur les particularités asturiennes.

- A) - Cet article est d'abord un constat d'échec total de l'ADET.

Comme l'indique ses initiales, l'ADET a été crée en 1991 pour promouvoir le Développement Economique et Touristique des Pyrénées centrales à partir des ours importés et, surtout, de leur image.

En être encore, 16 ans plus tard, confronté au défi (un reto) de "créer un climat social favorable à l'espèce et promouvoir des projets de développement durable", en être encore à se demander comment faire "pour solutionner les conflits sociaux avec certaines collectivités (éleveurs, apiculteurs, chasseurs...), conflits dérivés de la cohabitation entre l'être humain et l'ours brun", se sentir alors obligé d'aller en Asturies pour voir comment on y procède... c'est sans doute cela qu'on appelle une grande réussite!
Je serais l'ADET (dieu merci, ce n'est pas le cas), avant de me livrer aux plaisirs du tourisme automnal, je m'interrogerais quand même un peu sur le fond même de mon action, sur mes pratiques, sur mon insertion dans le milieu que je prétendrais ainsi conduire sur les voies enchantées d'un Développement Economique et Touristique... dont, au bout de 16 ans, les portes restent désespérément closes. Et si j'avais tout faux?...

Que devant un tel échec, l'ADET reste un interlocuteur privilégié de l'Etat français en cette affaire d'ours assez peu désirés et de développement raté, est un des grands mystères qui peuplent les fonds de tiroir et les dessous de table d'une cuisine où l'on peut se demander quel est, au fond, le rôle précis qu'y joue nounours... mais je comprends qu'il soit difficile pour les représentants de l'Etat, DIREN en particulier - ce sont quand même eux les premiers responsables - de demander, et plus encore, de rendre des comptes.

- B) - Ours, troupeaux, développement économique et humain.

Le dernier jour de sa promenade asturienne, dimanche (voir photos ci-dessus), l'ADET a visité la réserve de biosphère et parc naturel de Somiedo (29.164 ha). Avec la réserve voisine de Muniellos (55.657 ha, dont 5.488 de réserve intégrale interdite à toute activité humaine), Somiedo est le site emblématique du maintien d'une population d'ours sauvages dans les Asturies.

Dans l'article, A. Hartasanchez, le président du FAPAS, indique que, par rapport aux Pyrénées, "la situation dans la Cordillère Cantabrique /est/ différente parce que, pratiquement, il n'y pas de dégâts sur le bétail, mais surtout sur les ruches". Les photos de l'article concernent effectivement des ruchers, quant à celle du chien courant un ours, il est précisé qu'elle date "d'il y a quelques années".

Au même moment, G. Palomero, Président de la Fondation Oso Pardo, souligne dans El Diario Montañes du 28 octobre 2007: "En général, dans la Cordillère Cantabrique l'ours est bien toléré parce qu'il ne tue que peu de bétail. Il y a davantage de conflits dans les Pyrénées, où le fait qu'il attaque les vaches entraîne un grand rejet social."
En fait, il attaque aussi et surtout les ovins, ce que G. Palomero reconnaissait en décembre 2005 dans son intervention lors des "3èmes journées de l'environnement" organisées par le Consorcio de Los Valles, en Aragon.
Il indiquait alors que, pour faire accepter l'ours, entre les Monts Cantabriques et Los Valles la différence c'est "qu'il n'y a pas d'élevage ovin".

Totalement faux pour l'ensemble des Monts Cantabriques, mais qu'en est-il à Somiedo, puisque sans cesse ce consejo est, en France, présenté comme un modèle de cohabitation? Les données sont empruntées aux Services statistiques du Gouvernement asturien

Le consejo de Somiedo correspond à ce qui serait chez nous un canton. Pour des raisons historiques, l'ours n'a cessé d'être présent dans cette zone des Asturies, au statut spécifique; Somiedo fut réserve de chasse, puis Parc Naturel en 1988, enfin Réserve de biosphère depuis 2000, tout cela en fait un site à part, rien à voir avec la réalité globale du massif pyrénéen, les paramètres ne sont pas comparables! Le décret créant la Réserve en 2000 se fixait entre autres cet objectif:

"Développement économique et humain durable sur les plans socio-économiques et économiques. Le Parc Naturel de Somiedo n'a pas pour seul objectif de protéger les valeurs naturelles et le paysage de ce milieu, mais aussi de sauvegarder les formes traditionnelles de vie de la population locale. Ainsi, le cadre légal de protection du Parc inclut déjà /.../ la nécessité d'assurer le développement des activités traditionnelles."

Voyons les résultats.
Au niveau démographique déjà, la création de la Réserve n'a pas suffi à freiner la décrue que le Parc existant n'avait pas davantage empêchée (en italique gras dans ces tableaux la date de création de la Réserve et celle de la dernière statistique connue), au mieux une très légère inversion de tendance en 2006, à confirmer bien sûr:

Année1991...20002001...2003...2006
Réserve
Asturies1.093.9371.076.5671.075.329 1.075.3811.076.896
Somiedo1.7931.6211.616 1.5411.544

Le nombre d'exploitations agricoles lui, était déjà sur une pente dégressive, la décrue s'est accélérée:

Année199819992000...2066
Exploitations à Somiedo285285270243

Quant aux productions: le rapport SIMOGAN 2004 indiquait dans sa conclusion que celle du lait de vache avait disparu a Somiedo, sans doute n'était ce pas une des ces "activités traditionnelles" à développer. Le seul élevage conséquent y est celui des bovins-viande: leur nombre a relativement fluctué entre 1998 et 2006, mais il reste autour d'une moyenne annuelle de 6279 bêtes.

Année1998...2000...2004...2006
Bovins à Somiedo6.1756.3156.9116.388

Par contre, l'élevage ovin et caprin n'a cessé d'y décroître ces dernières années au point d'être devenu totalement résiduel. Les tableaux ci-dessous indiquent ces évolutions:

AnnéeExploitations A SomiedoOvinsAnimaux par exploitation
2000937842.00
200568514.17
2006241215.04

AnnéeExploitations A SomiedoCaprinsAnimauxpar exploitation
2000723133.00
2005721731.00
20066223.67

609 ovins + caprins en 2000, 143 en 2006, mais peut-on encore parler d'exploitation pour ce qui n'est plus que distraction: 5 brebis et 3 chèvres, comme 5 poules au fond du jardin!

Plus de lait, perte d'exploitations, quasi disparition des chèvres et des brebis, on est très loin de la "nécessité d'assurer le développement des activités traditionnelles."

En 2006, Palomero Garcia, en fut alors réduit à proposer cette solution: "hay que poner al oso a producir" (il suffit de rendre l'ours productif)! Ce qui conduisit un éditorialiste de El Comercio digital à en conclure: "il nous a montré clairement qu'il dirige non pas une ONG conservationniste mais une entreprise qui ne cherche qu'à rentabiliser l'ours"

La polémique fut telle que le coordonnateur de la Fondation dut intervenir sur le forum de discussion d'un autre quotidien asturien (La Nueva España) pour répondre aux questions des lecteurs. Impossible de tout citer, mais ces quelques passages sont révélateurs:

Tiens, "développement rural"! Mais... n'était-ce pas déjà de cela qu'il était question dans le décret de 2000 créant la Réserve de Biosphère: "sauvegarder les formes traditionnelles de vie de la population locale. Ainsi, le cadre légal de protection du Parc inclut déjà /.../ la nécessité d'assurer le développement des activités traditionnelles."
Il semble quand même, à lire ces réponses et voir les évolutions statistiques, que, pour la sauvegarde de l'ours lui même, et plus encore pour le développement des "activités traditionnelles", il n'y ait pas de miracle. Et si Somiedo aujourd'hui construit son économie autour de l'exploitation touristique de l'ours devenu un objet d'investissement (hay que poner a producir), c'est son choix.
On peut alors peut-être comprendre que les grandes banques espagnoles soient comme par hasard soutiens de ces programmes et des diverses fondations ours (ici, Caja cantabria ; Caixa Catalunya au sud des Pyrénées)

Mais ce modèle qui s'explique pour les raisons historiques que nous avons indiquées rapidement au début, n'est pas généralisable à des massifs entiers, pas plus que Lourdes, ce miracle réel, ne peut être généralisé à l'ensemble des Pyrénées!

Serait-ce d'ailleurs souhaitable, n'y a-t-il pas aussi autre chose à "produire" en montagne, et notamment la richesse d'une biodiversité agricole et de races d'élevage autochtones, atouts majeurs du développement durable comme le soulignent les groupes 2 et 4 du Grenelle de l'environnement?

L'ADET risque fort d'être revenue à Arbas avec un bien insuffisant modèle "pour solutionner les conflits sociaux avec certaines collectivités (éleveurs, apiculteurs, chasseurs...), conflits dérivés de la cohabitation entre l'être humain et l'ours brun", comme pour assurer ce développement après lequel elle court depuis sa fondation.

- C) - Paca et Tolla

Ce sont les noms de deux ourses dont la mère avait été tuée et qui furent récupérées et élevées dans les installations du FAPAS. Devenues adultes, elles furent relâchées dans une zone clôturée d'environ cinq hectares où un parc de vision génère cette activité touristique que présentait "Queco, patron d'une entreprise touristique de Proaza", à nos valeureux missionnaires venus d'Arbas pour découvrir ce miracle d'économie réussie.
Là encore, les analyses de fond seraient trop longues, mais il suffit d'aller voir les photos sur cette page du site de la Fondation Ours des Asturies (cliquer sur les photos au bas de la page ; couvertes par un copyright, elles ne peuvent être reproduites ici).

L'épaisseur et la hauteur des grilles suffisent à montrer que nous n'avons pas affaire au nounours de nos berceaux. La grande photo verticale de l'ours dans sa piscine est un gag qui me fait toujours autant m'esclaffer, mais c'est un rire jaune. Quant aux gosses derrière des grilles dont on sait pas qui elles enferment de l'ours ou d'eux, de toute façon je n'aime pas les grilles.

Ni pour l'ours, ni pour les Pyrénées, je ne crois pas que ce soit là un parfait modèle, mais si à Arbas nos missionnaires avides de Savoir étaient revenus avec la glorieuse idée (enfin, il serait temps!) de parquer chez eux les inconvénients qu'ils imposent aux autres tout en étant incapables de développer quelque économie que ce soit... ma foi, j'en connais beaucoup autour de moi (5.000 à la grande manif de Bagnères de Bigorre) qui seraient prêts à donner un coup de main pour sceller les piquets!

Auteur: B. Besche-Commenge, ADDIP - novembre 2007

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