La chasse à l'ours dans le Val d’Anniviers

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Dans le Valais suisse, comme ailleurs en montagne, la culture de la chasse constitue un véritable patrimoine. Quand il s’agit en plus de tuer un ours considéré comme nuisible pour les bergers et pouvant permettre de toucher une prime, l’affaire réunissait tous les villageois comme l’explique le PV ci-dessous.

Anniviers (Valais)" l'ours de Pinsec, tué en 1811

A l'heure du retour des ours et des loups dans nos vallées, il m'a paru intéressant de publier le récit épique de la mise à mort, le 11 avril 1811 "d'un ours d'un poids prodigieux" qui avait dévoré quelques beaux veaux gras dans le hameau de Pinsec au Val d'Anniviers.

Il y a quelques dizaines d'années, l'histoire se racontait encore le soir à la veillée pour le plus grand effroi des enfants et pour la plus grande gloire de six hommes courageux de Pinsec qui avaient participé à l'opération punitive. Cités nommément dans le le procès-verbal officiel, dressé par le curé de Vissoie, l'abbé Thomas Gillet, ils sont passés à la postérité à une époque où la veillée tenait lieu de Téléjournal...
Tuer un ours relevait de l'exploit et conférait au chasseur une réputation de courage. Les pattes du plantigrade occis, le plus souvent au terme d'une rude bataille, constituaient un trophée envié et elles étaient souvent clouées en dessus de la porte du domicile du héros. Il n'y a pas si longtemps, une superbe paire de pattes avant d'ours surmontait la porte d'une maison (famille Caloz) du hameau de St-Jean-d'en-Haut...

Voici le Procès-verbal authentique de cet épisode, tiré de l'ouvrage Le Passé du Val d'Anniviers de l'abbé Erasme Zufferey, présenté et amendé par l'historien anniviard et sierrois Michel Salamin (pages 85 et 86).

...il est un genre d'animaux que chacun pouvait tuer et pour la destruction desquels l'Etat allouait même des primes" c'était les bêtes fauves et nuisibles, surtout les ours et les loups qui infestaient nos montagnes. A ce sujet, voici un fait typique"
"L'an 1811, dit le procès-verbal, entre le 7 et le 8 avril, comme l'on a pu conjoncturer par les pas marqués dans la neige, un ours d'un poids prodigieux, qui avait reposé pendant l'hiver dans les environs du village de Pinsec, rière la commune de Vissoie, s'est réveillé et est sorti de son gîte de meilleure heure qu'à l'ordinaire. La nuit du 9 au 10 dudit mois, il enfonça des écuries et dévora chaque fois un beau veau gras; celle du 11, il voulut continuer ses désastreuses opérations, mais le propriétaire de l'écurie à laquelle il heurta, ayant attaché à sa porte des tranchants, il s'y blessa les deux pattes en les y appliquant pour l'enfoncer, ce qui l'obligea à renoncer à son dessein et à se retirer dans la forêt voisine. Aussitôt, six particuliers dudit village, nommément Jean Massy, Antoine Bourguinet, Georges Abbé, Jospeh Savioz, André Bonnard, Augustin Solioz, comme autrefois les trois Suisses, se liguèrent et jurèrent la perte du tyran.
Nouveaux, mais dignes Français, ils prirent pour devise" " Vaincre ou mourir" et, armés d'un seul fusil très simple, avec des triques, lances, haches etc., ils suivirent ses sanglantes traces, le découvrirent et attaquèrent cette furieuse bête. Si leur valeur n'eut suppléé à la faiblesse de leurs armes, ils en eussent été tous dévorés; car le premier d'iceux lui ayant vainement appliqué un coup de balle, ce monstre, en étant devenu que plus farouche et s'étant retourné vers lui, gueule ouverte, il lui brisa la crosse de son fusil sur le nez, et les autres aussi braves que fidèles, achevèrent de le tirer de l'imminent danger où il était de périr, en faisant pleuvoir sur l'ennemi commun une grêle de coups de triques, de lances, etc.

Voyant cependant qu'on ne pouvait l'arrêter avec de si chétifs instruments, on fit apporter un fusil rayé et appeler quelque renfort. Mais, avant que celui-ci pût être mis en usage, il présenta encore ses dents voraces à Augustin Solioz qui, non moins courageux que le premier, lui enfonça sa lance au front qui, dans un instant, fut mise en pièces. Enfin, un second coup de balle sortit du fusil rayé et une nouvelle grêle, principalement de cailloux, l'achevèrent".Ayant appris cette heureuse issue de la lutte, le maire de Vissoie se hâta d'en aviser le préfet. Son Excellence lui répondit qu'il fallait en toutes circonstances semblables dresser un procès-verbal et lui expédier la tête de la bête tuée qui serait rendue aux porteurs, dûment marquée, afin qu'on ne pût la présenter une seconde fois. Aussitôt après réception de l'un et de l'autre, elle ferait payer à celui ou à ceux qui ont opéré cette destruction les 18 francs accordés par le gouvernement... En post-scriptum, elle demandait à acheter la peau de l'animal qui appartenait à ses destructeurs.
En conséquence, le curé Thomas Gillet, on le reconnaît à son écriture, fit le rapport réglementaire que nous avons reproduit ci-dessus...

Auteur: Jean Bonnard
Source: Le Nouvelliste du 7 janvier 2007