Fin 2016: le loup dans les Asturies et les analyses à géométrie variable du FAPAS

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Le FAPAS (Fonds Asturien de Protection des Animaux Sauvages) souligne l'explosion des attaques de loups aux troupeaux sur le versant asturien des Picos de Europa, mais alors que depuis plus de 20 ans, avec des arguments de fond, il démontre que laisser les loups s'y implanter serait un drame écologique et économique, il soutien aujourd'hui l'inverse alors que les faits prouvent la justesse de sa position antérieure

Le FAPAS (Fonds Asturien de Protection des Animaux Sauvages) est une ONG très engagée dans la conservation de la nature et particulièrement de l’ours et du loup. Dans son dernier bulletin (daté 2017) (1), son président, Roberto Hartasánchez, souligne que le FAPAS est devenu totalement indépendant des financements politico-administratif ce qui lui permet de n’être inféodé à aucun discours politiquement correct.

Peut-être, même si l’on peut considérer avec ironie certaines des banques et entreprises qui le soutenant se reverdissent ! Mais antérieurement déjà son discours était tout sauf «politiquement» voire écologiquement correct. Et ce lors même qu’il bénéficiait de ces programmes Life-Europe, instrument financier de la directive Habitats, qu’il critique vertement dans ce bulletin (ainsi en 1998 pour l’ours: Life98/NAT/E/005305, subvention européenne de 528.484,59 €).

Or, paradoxalement ce discours a aujourd’hui radicalement changé et M. Hartasánchez ne craint pas de contredire celui qu’il tenait depuis des années et qui sous tendait son action. Notamment à propos du loup. Quelques pistes existent, que je n’aborderai pas faute de certitude, pour expliquer une telle palinodie. Mais il est très intéressant de reprendre ces anciens propos et les arguments de fond qui les motivaient: en effet si le discours a ainsi viré à 180°, les justifications de ces arguments, non seulement demeurent et sont confirmés par les faits, mais vont bien au delà du seul cas asturien.

Sous des formes différentes, selon les contextes, les mêmes causes produisent les mêmes effets à peu près partout où le retour du loup vient heurter de front des pratiques pastorales séculaires intimement liées à des milieux qu’elles ont contribués à créer, à des savoirs inventés par les hommes pour vivre avec, dans et grâce à ce milieu, et à des races d’élevage adaptées aux uns et aux autres.

Page 8 de ce dernier bulletin, Hartasánchez publie le tableau suivant qui montre entre 2011 et 2015 une spectaculaire augmentation des attaques aux troupeaux dans la zone orientale des Asturies (Parc des Picos de Europa) et autour de Somiedo, emblématique par ailleurs de la protection de l’ours depuis des décennies.

Premier « oubli »de Hartasánchez, mais ce n’est pas le plus grave: entre les Picos et l’océan, la chaîne intermédiaire de la Sierra del Cuera, hors Parc, ne présente plus aucune attaque, au moins officiellement, alors qu’elle était il y a peu encore une des plus atteintes, mais elle a été déclarée «libre de loups», la bête y est éliminée. Je l’ai ajoutée en vert sur la carte du FAPAS où les très fortes augmentations à droite correspondent au Parc des Picos de Europa (de + 53,33% à + 420% pour le concejo de Cabrales, en plein centre du Parc, célèbre pour ses fromages depuis des siècles) ; il est d’autant plus remarquable que le Cuera voisin soit alors à présent préservé, mais cela n’apparaît pas sur la carte du FAPAS:

Donc, hausse énorme dans les concejos des Picos de Europa. Hartasánchez met en cause la politique de l’Administration à laquelle il reproche d’augmenter le nombre de loups à abattre à l’intérieur du Parc alors, dit-il, que cette hausse prouverait que tuer des loups ne règle rien (mais pas un mot rappelons-le sur l’élimination totale dans le Cuera, rayé de la carte au sens propre du mot, et la fin concomitante des attaques!). S’ensuit une virulente charge contre les éleveurs de la zone Parc qui demandent, eux aussi, l’élimination totale du loup alors que certains «perçoivent jusqu’à 7.000 € d’aides de la PAC liée aux territoires protégés de montagne, en échange d’un comportement éthique avec la nature».

Hartasánchez renvoie alors à un article paru fin 2013 dans un journal asturien (2) où un éleveur d’Onís (+ 215% d’attaques dans la carte) déclarait que le loup devait «être éliminé de la zone asturienne /du Parc/ pour retourner dans la zone Sud où il était il y a 20 ans». Élimination à l’œuvre dans le Cuera dont Onís est limitrophe et les éleveurs de part et d’autre sont très liés: tout se sait donc très vite. Le versant asturien des Picos et la sierra piémontaise du Cuera sont orientés au Nord et marqués par les influences océaniques de la Mer Cantabrique. Milieu et modes ancestraux d’élevage totalement différents de ceux du versant Sud, très sec, situé lui en Castille-León et où le loup a toujours été présent, plus ou moins, mais présent.

Et c’est là que Hartasánchez devient d’une malhonnêteté absolue. Car en 2006 encore il écrivait exactement comme parle cet éleveur ! Sa position ne souffrait d’aucune ambiguïté, le loup versant Sud mais pas au Nord (3):

Il est des territoires où la présence permanente du loup correspond à un passé lointain et où les pratiques séculaires d’élevage, par leur complexité et par la vulnérabilité des troupeaux, ne sont pas compatibles avec une colonisation qui n’a pas de référent proche. Dans ces territoires, où prédomine le pâturage sous bois et avec un faible contingent d’espèces cynégétiques [proies potentielles pour les loups], sont majoritairement présents des troupeaux permanents d’ovins et caprins à vocation laitière.

Proches de la mer ces territoires ont été préservés de la présence permanente du loup tant par les difficultés d’accès biogéographiques que par la persécution des bergers qui l’empêchaient de les coloniser. Dans le contexte régional, ils ont fonctionné comme des « îles ». Nous faisons référence ici au versant Nord des Picos de Europa, entre les fleuves Sella et Deva, et à la Sierra del Cuera, dont les défilés Nord-Sud et les imposantes murailles calcaires qui les séparent de la meseta castillane ont fonctionné dans le passé comme des barrières peu perméables.

Pour ce type de territoire les transformations produites par la présence du loup peuvent devenir un facteur qui déséquilibre totalement la structure territoriale, écologique, culturelle et économique d’un pastoralisme ovin et caprin laitier déjà mal en point en lui-même.

Ainsi, une gestion adéquate du loup doit se baser sur les connaissances à la fois de sa biologie et de sa relation avec le territoire, par conséquent sur son écologie, en ayant à l’esprit afin de les prévoir les conséquences de sa présence sur l’équilibre général d’un milieu utilisé aussi par l’homme. Connaître les formes de vie des communautés rurales affectés, leur histoire écologique et leur façon particulière de mener le bétail, évaluer les effets sur leur socio-économie, s’avèrent fondamentaux pour apprécier la compatibilité ou non du loup avec le territoire et le milieu socio-écologique dans lequel il s’insère.

Nous pensons donc que ne suffisent ni la vision puriste d’un chercheur, ni le point de vue désincarné d’un bureaucrate qui agit uniquement sur la base des cadres légaux généraux. En effet, tant préoccupés par la protection du loup comme ils le sont tous deux, ils en oublient toujours l’extraordinaire fonction écologique que remplissent les troupeaux ovins et caprins pour la conservation des pâturages alpins.

En définitive, défendre la place du loup dans les territoires où il joue son rôle écologique, évaluer son impact sur l’économie de l’élevage dans un contexte plus vaste que l’actuel, définir quels territoires peuvent ou non supporter la présence de l’espèce, et donc fixer des limites à son expansion, tels sont les axes fondamentaux d’une gestion moderne qui nous permette de conserver le loup sans devoir pour autant renoncer à un élevage extensif ovin et caprin à vocation laitière d’une importance capitale pour l’écologie régionale comme pour l’économie rurale.

En termes généraux, la présence permanente du loup est compatible avec un élevage extensif de bovins et d’équins et à côté d’abondantes ressources cynégétiques (comme à Somiedo (4)). Elle est incompatible avec un système d’élevage ovin et caprin laitier où les bêtes sont traites dans les estives basses (900-1400 m.) au printemps et une partie de l’été, pâturent au milieu de clôtures végétales ou en semi-liberté (5) le reste de l’été et en automne dans les estives hautes (1400-2000 m.), puis hivernent dans les collines et les prairies d’en bas: forme particulière d’élevage pratiquée aujourd’hui dans les municipalités asturiennes des Picos de Europa et de la Sierra del Cuera.

Hartasánchez revenait ensuite sur ce qu’il avait écrit antérieurement pour déjà alerter sur cette incompatibilité. Il cite d’abord le bulletin du FAPAS de décembre 1986, puis un autre bulletin, dix ans plus tard. En 1986, suite aux premières attaques de loup sur deux estives du concejo de Peñamellera Alta, au bas des Picos et limitrophe de la Sierra del Cuera:

À notre avis, si le loup colonisait le versant Nord des Picos, un territoire modelé depuis des siècles par une culture millénaire de pastoralisme ovin et caprin lié à la fabrication du fromage et où n’existe qu’un nombre limité de proies sauvages, se produirait alors un grave déséquilibre, il ne serait pas seulement socio-économique mais aussi écologique ; aujourd’hui nous sommes amenés à la prévoir et le qualifier de «désastre».

Devant cette «absence de conditions optimales pour que les loups s’installent dans la zone», il appelait alors habitants, associations conservationnistes et Administrations à travailler ensemble pour que de telles attaques de loup ne se produisent plus. Dix ans plus tard, 1996, il réitérait sa prophétie devenue réalité en 2016, et le présente ainsi dans ce texte qui date, rappelons le de 2006:

Nous insistions alors et posions la nécessité d’une gestion du loup qui, en accord avec la réalité agro-écologique du territoire, devait empêcher sa présence permanente sur le versant Nord du massif. Les réactions des groupes pro-loup et des conservationnistes des villes ne se firent pas attendre et on nous accusa de « tuer le loup » dans les Picos de Europa.

Le temps passant, et devant le laisser faire des successives Administrations de l’Environnement qui, soit dit en passant, voyaient d’un bon œil le loup coloniser un territoire contrôlé depuis des siècles par le berger, le loup à fini par s’installer et se reproduire non seulement sur le versant maritime des Picos mais récemment aussi dans le sierra pré-littorale du Cuera.

Pour diverses raisons, le pastoralisme traditionnel y connaissait depuis des décennies un inexorable déclin auquel la présence du loup vint s’ajouter comme un obstacle insurmontable. La majorité des éleveurs se sont défaits de leurs troupeaux dont certains, en de véritables sagas familiales, avaient pâturé dans les mêmes lieux de génération en génération. Mais aucun responsable n’était conscient que la disparition de cette activité d’élevage aurait des conséquences écologiques importantes, aucun d’entre eux ne se préoccupa de lancer une étude des méthodes et façons de faire de ces éleveurs alors que ce savoir nous serait utile comme référence aujourd’hui pour mettre en œuvre un modèle de gestion agropastoral intégré à une stratégie de conservation.

Le résultat pourrait difficilement être plus décevant. Quant à nous, nous ne pouvons que répéter une fois encore l’analyse que nous développons depuis ces vingt dernières années, avec peu de succès à voir les faits et le maigre écho de notre diagnostic chez les responsables de l’environnement: la gestion du loup, et particulièrement dans des territoires comme ceux qui nous occupent (6) nécessite de mettre en œuvre des mesures de contrôle de la population sans que cela ne doive être interprété en quoi que ce soit comme une activité néfaste. Au contraire, nous sommes convaincus que ceux qui défendent à outrance la présence du loup en tout territoire quel qu’il soit, le font parce qu’ils manquent de l’expérience et la connaissance nécessaires à propos de l’écologie complexe de cet animal. Ils font alors de ce critère ultra-conservationniste un facteur de risque qui menace encore une fois sa conservation en Espagne.

Hartasánchez concluait en espérant que ses actuels propos (2006 donc) «servent au moins à mettre en évidence que les conservationnistes du FAPAS ne lâchent pas de loups mais qu’au contraire ils mettent en avant le fait que pour conserver le loup il est aussi nécessaire de limiter sa triomphale expansion démographique. Et de le faire en fonction de critères biogéographiques, économiques, sociaux et écologiques qui aillent au delà de la stricte assignation du territoire à des limites artificielles qui, en ce qui concerne la gestion du loup, séparent ce qui est Parc National de ce qui ne l’est pas.»

1986, 1996, 2006, 2016, on saute ainsi de décennie en décennie mais la dernière 2016 tient une autre chanson que les précédentes: l’incompatibilité entre loup et système pastoral spécifique au versant Nord des Picos de Europa, le caractère destructeur de la présence de la bête pour un écosystème régulé depuis des siècles par la présence des hommes et des troupeaux al ralencu, passent soudain à la trappe, et les éleveurs dont le savoir était reconnu comme partie constitutive de cet écosystème deviennent des parasites engraissés par une manne européenne qui devrait les conduire à tout accepter.

Resterait à expliquer une telle palinodie, j’ai dit pourquoi je n’évoquerai pas les pistes envisageables. Mais les faits sont là qui justifient plus que jamais les analyses argumentées que Hartasánchez aujourd’hui renie, et pas seulement dans les Picos mais jusqu’à la zone de Somiedo qu’il présentait pourtant comme sans problème … mais est devenu à problème. La paradoxe est alors le suivant: les éleveurs des Picos, qui manifestent régulièrement et à plusieurs reprises chaque année contre la présence du loup, pourraient utiliser ces analyses pour justifier leur refus du loup et de l’ensauvagement des milieux qui l’accompagne, comme bien d’autres en Europe confrontés au même problème!

Mais Hartasánchez aujourd’hui a rejoint le camp de ceux qui défendent à outrance la présence du loup en tout territoire quel qu’il soit. Se renier pour continuer à exister?

Auteur: B.Besche-Commenge, ASPAP/ADDIP – 26 décembre 2016

Notes:

(1) Téléchargeable en espagnol (Pdf)
(2) Version traduite en français (Pdf) - Version originale en espagnol
(3) Roberto Hartasánchez, Los lobos en Los Picos de Europa, biología, ecología y gestión. In Jaime Izquierdo y Gonzalo Barrena, Marqueses, Funcionarios, políticos y pastores - Crónica de un siglo de desencuentros entre naturaleza y cultura en Los Picos de Europa. EDICIONES NOBEL, Ventura Rodríguez, 4. 33004 OVIEDO. 2006. Pp. 361-372
(4) Somiedo et ses voisins, Quíros, Teverga, sont la zone emblématique de l’ours asturien. Plus d’ovins ni caprins depuis des années sinon à titre résiduel comme des poules au fond d’un jardin. Uniquement des bovins. (Données statistiques agricoles asturiennes depuis 1990 sur le site du SADEI - Sector primario). Si l’on se reporte à la carte ci-dessus, ces mêmes concejos sont aujourd’hui ceux où l’impact du loup sur les troupeaux connaît les plus fortes hausses après ceux des Picos. Ce qui revient à dire que la compatibilité dont parlait Hartasánchez n’est possible que … jusqu’à un certain point! Mais la régulation est totalement exclue dans ces espaces devenus «réserves de la biosphère» pour l’UNESCO ; ce statut fait qu’on y trouve aussi énormément de proies sauvages potentielles, ce qui n’empêche pas l’augmentation des attaques de loups aux troupeaux. Hartasánchez avait raison pour bovins et gibier, totalement tort quant aux conséquences pour les loups sans régulation.
(5) Hartasánchez utilise le terme du parler asturien «al ralencu»: le système est le même que celui en «escabòt» des Pyrénées. Les brebis se dispersent en petits paquets selon les possibilités d’un milieu très fragmenté et leurs affinités de groupe, elles ne sont pas gardées mais surveillées régulièrement, ce qui ne veut pas dire tous les jours, et rassemblées uniquement si nécessaire.
(6) À partir d’ici Hartasánchez reprend ce qu’il écrivait en 1996.