Tunnel du Somport: Compte rendu de l'enquête publique de 1993

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Le Président du Tribunal administratif, vu la demande du Préfet des Pyrénées-Atlantiques du 6 avril 1993 tendant à la désignation d'une commission d'enquête pour procéder à l'enquête préalable à la réalisation des travaux de construction du tunnel du Somport et de sa voie d'accès sur le territoire des communes d'Urdos et de Borce, a désigné le 8 avril 1993 M. Pierre Blondel comme président et Mlles Françoise Dissard et Solange Bourgade comme commissaires enquêteurs.

- Déroulement de l'enquête

Par arrêté préfectoral du 20 avril 1993 publié au recueil des actes administratifs le 22 avril 1993, l'enquête publique s'est déroulée du 11 mai au 11 juin 1993.

- 1 - Publicité:

Nous soussignés, Pierre Blondel, Françoise Dissard et Solange Bourgade certifions avoir vérifié que cette enquête a fait l'objet des mesures de publicité suivantes, conformément aux dispositions de l'article 4 de l'arrêté précité:

Avis au public dans deux journaux nationaux et dans trois journaux locaux diffusés dans tout le département, au moins quinze jours avant le début de l'enquête et rappelé dans les mêmes conditions dans les huit premiers jours de celle-ci. Il s'est agi:

Un exemplaire de chacun de ces journaux a été joint au dossier.

Quinze jours avant l'ouverture de l'enquête et durant toute sa durée, publication par voie d'affiche du même avis à la Préfecture de Pau, la Sous-Préfecture d'Oloron et dans chacune des trois communes concernées. Les certificats d'affichage ont été joints à chacun des registres d'enquête.

Le même avis a été affiché au voisinage du futur ouvrage.

Le dossier d'étude d'impact a été communiqué à la presse locale qui l'a publié dans sa quasi intégralité.

Les registres d'enquête qui contenaient chacun 200 pages ont été cotés et paraphés avant l'ouverture de l'enquête.

- 2 - Les documents mis à la disposition du public étaient:

Un dossier d'enquête visé par un membre de la commission. Chacun des cinq dossiers était constitué par un cahier (présentation à l'italienne) comportant les chapitres suivants:

A - Plan de situation (au 1/3 000 000éme)

B - Notice: Notice explicative (choix du tracé notamment) Caractéristiques des ouvrages Appréciation sommaire (ou estimation ou appréciation succincte) des dépenses Informations juridiques et administratives

C - Plan général des travaux (1/10 000ème)

D - Etude d'impact:

Déroulement de l'enquête

La commission, après avoir procédé à l'examen du dossier, s'est rendue sur les lieux jusqu'à Jaca. Elle a pris contact avec les représentants des services de l'Etat (Préfet, Direction Départementale de l'Equipement, membres du GREF, Bâtiments de France), le Président et le Directeur du Parc des Pyrénées ainsi qu'avec les élus concernés, dont le Président du SIVOM d'Accous.

Elle a pris connaissance du rapport dit "rapport des experts" de mars 1993, de la Charte de protection des Pyrénées de 1988 élaborée par la commission interrégionale des associations de protection des Pyrénées, ainsi que des rapports du conseil d'administration du Parc national des Pyrénées.

La commission s'est tenue à la disposition du public aux jours et heures fixés pour les permanences et s'est entretenue avec 32 visiteurs, y compris les représentants d'associations, notamment les signataires du Manifeste du 26 mai regroupant environ 70 000 adhérents, et les représentants du WWF France (Fonds mondial pour la nature), porteurs d'une pétition de 64 000 signatures dont 2 000 provenant de Suisse.

Sur les registres ont été consignées 306 remarques. 1435 lettres y ont été annexées auxquelles doivent s'ajouter 4 pétitions, le plus souvent sous forme de lettres photocopiées reprenant les mêmes textes ou traitant des mêmes sujets sans argumentation différente pour chacune d'elles. Un exemplaire de chacune de ces pétitions a été joint au dossier.

Toutes les pièces sont conservées à la Préfecture (les lettres postées et arrivées postérieurement à la clôture de l'enquête n'ont pas été prises en compte).

A la fin de l'enquête les registres clôturés par les maires des communes concernées, par le Sous-Préfet d'Oloron ou par le Préfet suivant les lieux, ont été adressés aussitôt au Président de la commission d'enquête avec leurs annexes.

Analyse des observations

L'analyse des observations fait apparaître une adhésion incontestable de la plupart des habitants de la vallée au projet de tunnel, ainsi que de la quasi-totalité des élus du département. Certaines oppositions locales, très minoritaires, expriment moins un désaccord de fond sur le principe de cet ouvrage d'art que des réticences nourries par des rumeurs contradictoires sur les nuisances supposées d'une route nationale dont les aménagements sont soupçonnés de conduire à un projet hypothétique d'autoroute en vallée d'Aspe.

De même, le fait d'avoir annexé à l'étude d'impact du tunnel certaines réflexions préparatoires aux tracés possibles d'une éventuelle autoroute Pau-Oloron a nourri une inquiétude chez certains propriétaires de cette région qui redoutent une atteinte future à leurs patrimoines privés. En effet, de nombreuses personnes n'ont pas fait la distinction entre la nouvelle étude d'impact comportant notamment l'appréciation des effets directs et indirects du programme Pau-Somport et le projet bien délimité soumis à l'enquête publique. De ce fait, elles ont posé des questions ou présenté des observations qui ne concernaient pas l'enquête.

Les oppositions émanent très largement de personnes extérieures à la vallée, qui n'ont pour la plupart vraisemblablement pas pris connaissance du dossier. Elles sont contrebalancées par une mobilisation locale et régionale également très importante.

- I - Arguments favorables:

Sur le plan économique, l'intérêt d'une liaison transpyrénéenne a été abondamment souligné pour l'ensemble de la région, ainsi que tous les avantages micro-économiques qui pourront en découler pour le désenclavement d'une vallée en voie de dépeuplement. Il est notamment attendu de cette liaison plus rapide avec l'Espagne un développement du "tourisme vert", un accroissement des liens avec l'industrie espagnole ainsi qu'une meilleure compétitivité des produits de l'agriculture locale. Beaucoup de décideurs économiques locaux insistent sur les incertitudes pesant sur la planification de leurs investissements du fait du retard apporté aux travaux.

De nombreux intervenants insistent sur l'amélioration importante des conditions de passage en Espagne qu'on peut attendre du tunnel, quelles que soient les conditions atmosphériques, et sur la plus grande sécurité qui en découlera pour les usagers.

Le facteur essentiel du point de vue de la protection de l'environnement réside dans la réduction notable du trafic routier à l'intérieur du Parc National des Pyrénées.

- II - Arguments défavorables:

Les arguments principaux reposent sur les prévisions de trafic. D'une part, certains redoutent une augmentation de trafic pouvant conduire à une obligation d'élargissement de la route nationale dans le futur, allant même jusqu'à des projets d'autoroute. D'autres au contraire contestent la rentabilité future de l'ouvrage compte tenu des évaluations de trafic revues à la baisse.

Des inquiétudes se font également jour au sujet des aménagements futurs de la RN (traitement des enrochements, modification du paysage des berges...), ainsi que sur les modalités du transport de matières dangereuses à travers le tunnel.

Les pétitions mentionnées ci-dessus font état de façon générale de rumeurs sans référence précise aux éléments du projet. Elles manifestent un attachement affectif à la survivance des ours sans allusion au rapport des experts.

Indépendamment de la pétition de la WWF, le problème de la survie de l'ours a été très rarement abordé.

Certaines questions juridiques, telles que la non application de la loi Loti, la non dénonciation des marchés de travaux après le jugement du tribunal administratif, l'absence dans le dossier de pièces complémentaires et d'un examen de la situation en Espagne, ont été soulevées.

- III - Souhaits exprimés:

1 ) En ce qui concerne l'existence de la voie ferrée, les témoignages ont fait part de l'émotion que susciterait chez de nombreux habitants de la vallée toute décision de supprimer les emprises de la voie ferrée, compte tenu de son importance historique pour ceux d'entre eux qui ont connu son rôle ou participé à sa construction. Certains souhaitent même sa réhabilitation pour une remise en exploitation.

2 ) Un intérêt très vif a été exprimé pour que soient menés parallèlement aux travaux du tunnel et très vite achevés la déviation d'Oloron et les aménagements prévus pour la route nationale 134.

- IV - Sujets ne concernant pas l'enquête:

De nombreux particuliers, confondant la nouvelle étude d'impact avec le projet précis et limité de l'enquête publique, sont venus s'informer sur les conséquences futures des aménagements susceptibles de les concerner et qui feront naturellement le moment venu l'objet d'enquêtes publiques.

- Avis de la commission d'enquête

Observations préliminaires

La commission a considéré que le dossier soumis à enquête contenait tous les éléments d'information prescrits par la réglementation et nécessaires à la bonne compréhension du dossier. A cet égard, elle n'a notamment pas estimé justifiée la critique parfois formulée sur l'absence d'étude d'impact en Espagne, les autorités espagnoles ayant pour leur part, après avoir procédé à l'information du public selon la législation nationale en vigueur, déjà réalisé les travaux sur leur territoire en application de la convention signée le 25 avril 1991.

Quant à la question soulevée par certains intervenants de la non dénonciation des marchés publics conclus pour la réalisation du tunnel, la commission a estimé qu'elle n'avait aucune incidence sur l'utilité publique du tunnel, et était par conséquent hors de sa compétence.

L'objet exact de la remise à l'enquête, pour insuffisance d'étude d'impact en aval du tunnel dans le dossier de la première enquête, n'a pas été comprise clairement par de nombreux administrés:

1) Beaucoup d'intervenants ont manifesté une curiosité légitime mais intéressée portant soit sur le tracé exact des aménagements de la RN 134 par rapport aux propriétés privées, soit sur le principe et le tracé d'un aménagement autoroutier Pau-Oloron.

2) Une campagne nationale de collecte de signatures a certes recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures, mais se limitant à un appel au Président de la République en faveur de la préservation des ourssans argumentation particulière.

3) Une pétition plus localisée tendait quant à elle à récuser cette seconde enquête.

La commission, qui n'a aucune possibilité de vérification des signatures, a pris acte de ces deux derniers types de manifestation. Rappelant que son rôle est de peser des arguments et non de dénombrer des suffrages, elle n'a pu fonder son avis sur l'utilité publique du tunnel qu'en examinant les arguments développés de manière explicite.

Intérêt économique du projet

La commission a été particulièrement sensible à la qualité de l'argumentation sur le développement économique présentée par un collectif regroupant plus d'une douzaine d'organisations syndicales patronales, salariales, agricoles et d'assemblées consulaires.

Les travaux de ce collectif soulignent l'intérêt d'une amélioration substantielle des voies de passage en Espagne pour un développement des relations économiques entre les régions espagnoles et françaises adossées à la partie centrale de la chaîne pyrénéenne, et pour un désenclavement de ces régions par rapport à la situation de voies principales de passage de leurs voisines catalane et basque dans une perspective européenne.

Ces points de vue sont corroborés et soutenus d'une part par un certain nombre de témoignages d'autorités espagnoles (consulaires et collectivités locales), d'autre part par divers responsables politiques et socio-économiques en provenance notamment des deux régions Aquitaine et Midi-Pyrénées.

Ces arguments d'ordre économique, auxquels il faut ajouter le caractère raisonnable du coût de cet ouvrage compte tenu des participations espagnole et européenne, sont un des éléments fondamentaux, mieux formulés encore que lors de la précédente enquête, qui ont retenu l'attention de la commission.

Intérêt écologique du projet

Les considérations d'ordre économique n'ont retenu l'attention de la commission d'enquête que dans la mesure où elles lui ont paru compatibles avec la préservation des intérêts écologiques.

A ce titre, la commission a noté d'abord l'intérêt du projet par la réduction fondamentale qu'il implique du trafic routier empruntant à l'heure actuelle le col du Somport et qui par conséquent, traverse paradoxalement mais nécessairement la zone centrale du Parc national des Pyrénées.

Elle ne peut que faire sienne à cet égard l'argumentation favorable incluse dans le document dit "Charte pour la protection des Pyrénées" de 1988 et celle pareillement favorable des instances responsables du Parc National des Pyrénées, sans certes méconnaître que ce tunnel, comme d'autres ouvrages de ce même type, ne sera pas accessible aux matières dangereuses dans les mêmes conditions que les autres produits.

Elle a d'autre part noté que les prévisions de développement du trafic routier (qu'il s'agisse du trafic du transit ou du trafic de desserte interne de la vallée) exigent de toute façon des aménagements de la RN 134 pour préserver la qualité de vie des localités actuellement traversées, et ceci indépendamment de la réalisation ou de la non réalisation du tunnel.

Elle a constaté, à la fois dans l'étude d'impact et dans le "rapport des experts", que ces aménagements sur un tracé incontestablement délicat pouvaient toujours être réalisés dans des conditions assurant la préservation de la qualité de vie des habitants, des sites et paysages, du patrimoine historique et archéologique ainsi que de la faune et de la flore.

Le rapport des experts a en effet contribué d'une manière décisive à dissocier les deux problèmes, inexactement confondus, du trafic de la RN 134 et de la préservation des ursidés.

Il a bien établi que le cheptel ursidé résiduel était de toute façon condamné sans que puisse être imputée au trafic routier la faible probabilité de reproduction des quelques ours survivants.

Il a surtout établi que les chances d'une rénovation de ce cheptel par des apports extérieurs étaient tout à fait compatibles avec l'aménagement envisagé de la RN 134 moyennant un certain nombre de travaux techniquement et financièrement possibles.

L'opinion locale a très largement souscrit à cette nouvelle manière de présenter le problème de l'ours car cette question a paru définitivement démythifiée au cours de l'enquête.

Ces éléments d'ordre écologique n'ont pu que retenir l'attention de la commission.

Acceptabilité technique du projet

La commission a tenu à vérifier que les exigences de préservation de l'environnement étaient compatibles avec les caractéristiques techniques du projet.

1 - Appréciation sur les caractéristiques prévues pour les aménagements de la RN 134.

La commission a constaté dans le dossier d'enquête une diminution des prévisions de trafic par rapport aux dossiers précédents.

Elle a tenu pour valables les explications qui lui en ont été données, à savoir des modifications intervenues entre-temps dans les projets de desserte longue distance sur le territoire espagnol entre Madrid et Bordeaux (liaison par Burgos).

La fréquentation de la vallée d'Aspe pour le trafic transfrontalier apparaît en effet plus dépendante du maillage routier interrégional que de son organisation locale. A ce titre, l'augmentation du trafic sur la RN 134 ne sera due que très partiellement au tunnel; celui-ci ne modifiera pas essentiellement un trafic de toute façon en augmentation. Cette augmentation rend à elle seule indispensable l'aménagement de la RN 134 selon des caractéristiques auxquelles la réalisation ou la non réalisation du tunnel ne change rien.

Les prévisions de trafic telles qu'elles figurent dans le dossier conduisent la commission à estimer que les caractéristiques prévues pour cette route nationale (une seule voie dans chaque sens avec bande cyclable et une voie de dépassement dans une section à forte rampe) sont suffisantes sans qu'il soit nécessaire, (contrairement à certaines rumeurs tenaces de réalisation d'une "autoroute de la vallée d'Aspe") d'envisager à échéance humainement prévisible un élargissement de ces caractéristiques: selon ces prévisions, le trafic à l'horizon 2013 sera inférieur aux capacités d'écoulement d'une route à une voie dans chaque sens, dont les caractéristiques prévues répondront aux exigences de la sécurité routière.

2 - Considérations sur la voie ferrée existante:

L'enquête d'utilité publique sur le projet de tunnel routier du Somport a contribué à bien faire apparaître qu'un fort attachement local existe pour le maintien de l'emprise de cette voie ferrée en vue de sa réouverture éventuelle, même si les conditions ne peuvent pas être actuellement considérées comme réunies pour que cette réutilisation soit décidée dans l'immédiat.

Le rapport des experts permet de constater que même si l'emprise de la voie ferrée existante pourrait être utilisée ponctuellement pour l'aménagement de la route, cette emprise n'est jamais indispensable. A ce propos, la commission n'a pas estimé juridiquement fondées les observations réitérées de certains intervenants aux termes desquelles la loi d'orientation sur les transports intérieurs (LOTI) n'aurait pas été respectée.

En tout état de cause, l'éventualité d'une réouverture de cette ligne au trafic ne rend pas inutile l'aménagement de la RN 134 et son prolongement éventuel, le tunnel, d'autant que l'utilisation de l'emprise de la voie ferrée n'est de toute façon pas indispensable à l'aménagement de la RN 134.

La commission a donc estimé que le devenir de la voie ferrée était sans conséquence sur l'utilité publique du tunnel.

Conclusion

Compte tenu de ces considérations, la commission d'enquête à l'unanimité donne:

Un Avis Favorable

à la déclaration d'utilité publique du projet de construction du tunnel du Somport et de sa voie d'accès sur le territoire des communes d'Urdos et de Borce.

Elle recommande:

1 - que soit apportée la plus grande attention tant sur le plan des programmations et financements que sur celui de la conduite des chantiers, à l'articulation des travaux du tunnel proprement dit avec ceux des aménagements de la RN 134 et du contournement d'Oloron Sainte-Marie, de telle sorte qu'une bonne fluidité du trafic reste assurée pendant et après les travaux.

2 - que soit apporté le soin le plus attentif à la prise en compte, comme cela apparaît possible dans ces tranches d'aménagement, de la préservation paysagère, archéologique, phonique et faunique de l'environnement.

Pau, le 2 juillet 1993
Les commissaires enquêteurs