La chasse aux loups en Pologne 1997

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En Pologne, la chasse au loup était autorisée jusqu’à la fin des années 1990. Cette chasse était une source de revenus en même temps qu’une nécessaire régulation satisfaisant tout le monde. Ce business du loup a été engagé à partir de 1955.

- A la chasse au loup en Pologne. Chaque hiver, de fortunés Européens s'offrent un «safari» dans la région de Bieszczady

Il est 20 heures, ce soir d'hiver, quand Andrzej Pawlak, l'homme qui détient le record de la chasse au loup en Pologne avec 41 trophées, aperçoit, à 120 mètres de son mirador, ressortant sur la neige la silhouette gris foncé de l'animal. Cette nuit-là, dans les montagnes des Bieszczady, une région forestière du sud-est de la Pologne, où vivent encore près de 300 loups, il fait -15°. Aucun souffle de vent ne vient briser le calme de la nuit, le ciel est dégagé. Les conditions parfaites pour la chasse. La pleine lune illumine la clairière, au milieu de laquelle se trouve la carcasse d'un cerf, tué il y a quelques jours par une meute de loups et qui sert maintenant d'appât. Il ne reste plus guère que des os avec quelques morceaux de viande, les sabots et les bois. De très beaux bois. Le cerf devait avoir 6 ou 7 ans. Andrzej espère que les loups reviendront sur les lieux du massacre pour terminer leur festin. Soudain, un loup apparaît, puis disparaît aussi vite. Maintenant, le chasseur est en alerte et prêt à tirer à tout moment. Gros calibre. Vingt minutes s'écoulent avant que l'animal revienne. Pendant un instant, Andrzej le voit marcher de profil. Il vise, tire avec une balle de 5,6 mm de calibre 45 magnum. Au dernier moment, l'animal s'est tourné. Sans doute touché dans le dos, il s'enfuit dans la forêt. Il faudra attendre l'aube pour qu'Andrzej puisse vérifier si la balle a réellement atteint la bête. La chasse reste une importante activité pour la Pologne, où 20000 chasseurs étrangers viennent chaque année. Avec 100000 de leurs collègues polonais, ils rapportent à une centaine d'agences de chasse entre 118 et 125 millions de francs par an. La chasse au loup est pour les adeptes de la gâchette «le plus grand défi», explique Tadeusz Zajac, garde forestier de Lutowiska, qui surveille un terrain de 200 km2, dont 70% de forêts de hêtres et de sapins. «Comme on n'a pas de lions, de tigres ou de pumas en Europe» Le loup, lui-même excellent chasseur, est pour l'homme un adversaire excitant. Pour en abattre un et rapporter la peau et le crâne en guise de trophée, les chasseurs allemands, suisses, français, autrichiens ou espagnols ­ils étaient quelque 350 lors de la saison 1995-96­ sont prêts à débourser près de 6 800 francs. S'ils ne font que le blesser, les frais de chasse sont moindres, près de 1.700 francs. A cela s'ajoutent les coûts d'hébergement, d'organisation de la chasse et des guides. Les chasseurs font vivre la région des Bieszczady, une des plus sauvages d'Europe, mais aussi une des plus pauvres en Pologne. Il est 7 heures du matin, quand le soleil se lève sur les monts des Bieszczady et qu'Andrzej se dirige vers la clairière. Des poils et des traces de sang prouvent que l'animal a bien été blessé la veille au soir. Selon toute vraisemblance, la balle est restée fichée dans son corps. En suivant sa piste, le chasseur arrive à la forêt. Là, la neige est profonde, et Andrzej estime qu'il n'arrivera à rien sans l'aide de ses chiens, Jerry, un rouge de Hanovre (une race spécialisée dans la recherche du sang) et Foksik, un fox-terrier commun. Il va les chercher et reprend sa traque. Dans la forêt, les traces mènent à un ruisseau gelé. Le loup l'a préféré à une neige épaisse, c'est bien plus facile de marcher dessus. Au bout de 300 mètres, sous un sapin, il y a une grande flaque de sang, signe que le loup s'y est arrêté pour reprendre des forces. La piste remonte maintenant une pente raide, la forêt et les sous-bois se font de plus en plus denses, on y aperçoit d'autres traces. L'animal blessé veut à tout prix retrouver sa meute, elle le prendra sous sa protection. Au bout de 2 kilomètres de traversée difficile des sous-bois, les chiens sont fatigués, et Andrzej décide d'abandonner la poursuite. Quota de 45 loups. Quelque 800 loups vivent encore en Pologne et sont toujours officiellement sur la liste des animaux que l'on peut chasser, bien que cette chasse soit pour l'instant suspendue. A l'exception de la région des Bieszczady, où chaque année des quotas d'abattage sont fixés. Cet hiver (jusqu'au 28 février, date de fermeture), les gardes forestiers avaient demandé un quota de 72 animaux, mais 45 loups seulement leur ont été accordés, contre 30 l'année dernière. Une augmentation du quota qui a provoqué l'ire des écologistes au-delà les frontières polonaises. En janvier 1995, Brigitte Bardot lançait un appel au président Lech Walesa, qu'elle réitérait en novembre dernier à son successeur Aleksander Kwasniewski. «C'est une idiotie, s'indigne Andrzej. C'est facile de crier de loin, mais c'est les pays les plus pauvres, la Pologne, la Slovaquie et l'Ukraine, où vivent encore des loups, qui subiraient les frais de la protection du loup. Car cela coûte cher. Si on ne maintient pas un équilibre, le loup finira par exterminer toute la population des cerfs, descendra dans les vallées et s'attaquera au gibier et au bétail. Là, les paysans ne seront pas indulgents. Et puis les loups risquent d'être attaqués par la rage, qui les éliminerait complètement. Tout ça, ce ne sont que des mots. Quand on propose à ces écologistes d'envoyer des loups dans leur pays, ils n'en veulent pas.»

Depuis novembre, sur le quota de 45 loups, 11animaux ont jusqu'à présent été abattus, selon des informations officielles. Combien ont été tués clandestinement? Combien ont été blessés? On ne le saura jamais. Un loup mange en moyenne une tonne et demie de viande par an. Cerfs, biches et sangliers sont ses plats préférés. Selon les évaluations des gardes forestiers, ils ont eu particulièrement la dent dure cette année dans la région des Bieszczady: environ 400 cerfs auraient fait les frais de leur appétit cet hiver. Le loup s'attaque aussi aux moutons, parfois aux vaches et aux chevaux ou même aux chiens, ses cousins éloignés. De l'autre côté de la frontière, en Ukraine, tout est bon pour contenir l'animal, depuis l'empoisonnement, jusqu'aux rets ou les tirs en période de gestation. Prime à la tête. Avant qu'il soit considéré comme animal de chasse, le loup était dans la même situation en Pologne jusque dans les années 80. En 1955, un décret du gouvernement avait déclaré une véritable guerre au loup. Il y avait même une prime pour chaque animal tué. Pour un adulte 1000 zlotys, à l'époque l'équivalent d'un salaire mensuel moyen, et pour un louveteau cinq fois moins, 200 zlotys. Chaque peau était oblitérée et le crâne de l'animal troué, pour que les paysans et les chasseurs ne viennent pas réclamer l'argent deux fois. On n'hésitait pas à exterminer une meute avec la chasse dite aux fanions: les hommes enserraient une zone dans un filet avec des drapeaux rouges (fanions) et en resserrant le cercle rabattaient les loups au milieu, où des chasseurs postés n'avaient plus qu'à tirer.

- Mort tragique.

La polémique entre chasseurs et écologistes n'est pas près de prendre fin. Les seconds pensent que le loup joue le rôle de régulateur de la forêt, en tuant les bêtes malades ou affaiblies. Les premiers, épaulés par les gardes forestiers, mettent en avant le fait que le loup choisit en général le plus beau gibier du troupeau. Aujourd'hui, il n'est pas un danger pour l'homme, mais les gens de la région ont encore en mémoire la mort tragique d'un petit garçon tué par les loups, en 1927, ou le visage ravagé d'un ouvrier forestier attaqué par eux il y a une dizaine d'années.

Auteur: Maja Zoltowska
Source: Libération du 27 mars 1997