Les enfants de Lourdes 1943-1945

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Lourdes, avec ses hôtels, était un lieu idéal pour regrouper des enfants et les protégers des bombardements. Il semble que ces faits soient un peu oublié de la mémoire collective des Pyrénées. Nous allons essayer de reprendre ce dossier avant que les derniers témoins ne disparaissent.

- 1943-1945: 2000 enfants réfugiés à Lourdes durant la Seconde Guerre Mondiale

Les hôtels leur servaient de refuge

Gérard Piquet était l'un des 2.000 enfants, évacués par les Centre-Médico-Scolaires de diverses villes, sur la ville de Lourdes.
Aujourd'hui il raconte son histoire, et cherche à retrouver ses camarades.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, vers l'année 1943, des enfants ont été évacués sur la ville de Lourdes par les Centres Médico-Scolaires de diverses villes de France, ce pan de l'histoire locale n'est pas très connu. Mais Gérard Piquet, nous a contacté car il est un de ces enfants réfugiés à Lourdes. Il souhaite retrouver ceux qui ont vécu la même histoire.

"J'avais une dizaine d'années et j'étais l'un de ces enfants réfugiés dont le nombre devait être d'environ 2.000. Nous étions logés dans des hôtels réquisitionnés. Beaucoup venaient des villes et des régions de Marseille et Toulon en prévision d'un débarquement sur les côtes de Provence. D'autres, comme moi, venaient des villes bombardées de Bordeaux, Nantes, etc. Les habitants de Lourdes nous avaient très bien accueillis."

"Nous étions sous la surveillance de jeunes adultes que nous appelions Chef". Nous avons appris plus tard, à la Libération de Lourdes, que certains de ces chefs s'étaient portés volontaires aux Centres Médico-Scolaires pour fuir le service du travail obligatoire (STO). Un témoignage que j'ai reçu récemment m'a précisé que "chaque chef était responsable de trente à quarante enfants, ce qui paraît beaucoup, mais tous étaient si sages, apeurés, et en manque d'affection, qu'ils obéissaient et ne causaient aucun trouble".

"Nous traversions quotidiennement la ville en rang et en chantant, avec nos capes marines et nos bérets, pour la promenade du côté des montagnes, le Pic du Gers ou le Béout, sur le bord du Gave, vers la forêt, autour du Lac, ou à la Grotte. Une sorte de compétition s'était instaurée entre les groupes d'enfants de chaque hôtel se croisant dans les rues. Les habitants de la ville avaient pris l'habitude de voir ces enfants "défiler" ainsi."

- Restriction alimentaire

"Seulement les restrictions alimentaires étant devenues très vite insupportables, il a fallu écourter la distance des promenades, car nous fatiguions très vite et manquions de force. Tenaillés par la faim, trouver de la nourriture était devenu une obsession permanente. La préférence des lieux de promenades était selon la possibilité d'y trouver quelque chose à manger. Selon la saison c'était par exemple les cerises sauvages de la forêt, les châtaignes, les fèves, le maïs, et même les queues de choux récupérées dans les déchets. La faim était tellement tenace, qu'après chaque repas, aucune miette de la très fine tranche de pain noir ne restait sur la table; une bonne méthode consistait à mouiller l'index d'un peu de salive pour récupérer la moindre miette. Peu à peu les "défilés" à travers la ville n'étaient plus "chantants" du tout. Le spectacle de ces enfants malheureux qui dorénavant déambulaient plus qu'ils ne "défilaient" attirait souvent le regard de pitié des passants. Après quelque temps certains n'avaient plus de vêtements ou de chaussures en bon état. Parfois un commerçant généreux, au passage des enfants devant sa boutique, donnait un vêtement ou une paire de chaussures à l'un des plus démunis."

"Les fugues devenaient de plus en plus fréquentes. Un jour j'ai moi-même aussi fugué avec un camarade. La fenêtre de notre chambre donnait à bonne hauteur sur un escalier extérieur en béton. Pendant la sieste, nous avons tous les deux sautés par la fenêtre, au risque de nous blesser sérieusement. Dans notre tête d'enfant nous n'avions qu'une idée: trouver de la nourriture."

"Nous sommes partis par la route de Pau, avec chacun une sorte de petit sac, dans le but de prendre un poulet dans une ferme. En cours de route nous avons ramassé des fèves et du maïs dans les cultures. Nous avons repéré une ferme de l'autre côté du Gave, mais comme nous ne savions pas nagé nous n'avons heureusement pas osé nous aventurer dans le fort courant. Dans la soirée, alors que nous passions le village de Saint-Pé-de-Bigorre, après avoir marché une bonne dizaine de kilomètres, affamés et épuisés, nous avons frappé à une porte pour quémander de la nourriture. Une brave dame nous a donné des haricots verts, dont nous avions depuis bien longtemps oublié le goût. Après nous avoir réconforté, cette dame nous a fait comprendre qu'elle ne pouvait pas laisser deux enfants sur les routes, et qu'elle était bien obligée de prévenir la gendarmerie."

"Deux gendarmes nous ont emmenés. Ce soir là, pour la seule fois de ma vie, j'ai dormi dans une cellule sur une paillasse, comme un véritable voleur. Le lendemain matin les épouses des gendarmes nous ont donné une bonne tartine de pain avec de la confiture, grand luxe pour nous. Les gendarmes nous ont ensuite reconduits à notre point de départ, où nous avons eu droit à la punition habituelle réservée à tout fugueur."

- Retrouver les camarades

"Les enfants chapardaient souvent des fruits dans les jardins. C'était même devenu une sorte de compétition des uns envers les autres pour les plus débrouillards. Une fois, alors que le groupe dans lequel je me trouvais passait dans le chemin d'une petite cité, j'ai repéré un poirier rempli de beaux fruits qui me faisaient grande envie. Restant un peu à la traîne de mes camarades, je me hasardais à demander quelques poires à la propriétaire qui était dans son jardin. Cette brave dame, sensible à ma demande, m'a donné quelques poires, et après une brève conversation m'a invité à revenir plus tard. Dès la semaine suivante j'ai demandé au chef la permission de me rendre chez cette dame, qui m'a ainsi renouvelé l'invitation chaque jeudi pour le goûter, à mon plus grand bonheur. Quelques enfants étaient aussi parfois invités le jeudi par des habitants généreux de la ville."

"La Libération de Lourdes est enfin arrivée au mois d'août 1944. Les Allemands, les miliciens, et les collaborateurs, fais prisonniers par les FFI, sont conduits à la prison sous les acclamations de la population. Les enfants des Centres Médico-Scolaires défilent dans les rues en chantant avec un drapeau tricolore sorti d'on ne sait où. Ma mère est venue me chercher dès que les lignes de chemin de fer ont été rétablies provisoirement. Elle ne m'a pas trouvé en très bonne santé. A cause de malnutrition et de mauvaise hygiène, j'étais couvert d'impétigo sur toute la tête que l'on m'avait tondue et bandée. Je ne sais pas ce que sont devenu mes camarades de cette époque. Je n'en ai eu aucune nouvelle et souhaiterais en retrouver quelques uns. J'aimerais aussi avoir des témoignages d'habitants de Lourdes. Ceux qui étaient jeunes à l'époque doivent certainement se souvenir. Je comprends très bien que des recherches aussi lointaines ne sont pas faciles, mais 2.000 enfants réfugiés à Lourdes quelques années pendant la guerre, ne sont certainement pas passés inaperçus.

Article publié dans "La Semaine des Pyrénées" du jeudi 6 novembre 2003

- Les traces retrouvées

- Ils n'existent pas

Nous constatons qu'il est très difficile d'avoir des renseignements sur cette période de notre histoire. Peu ou pas de documents ou, s'il en existe, nous ne savons pas très bien où ils sont. Les Archives Départementales? Pas de personnel pour rechercher. Il faut que les intéressés se déplacent. Pas évident pour certaines de ces personnes.
Les retours de la presse locale n'ont rien apporté.
Bref! C'est comme s'il ne s'était jamais rien passé.

Sauf que, après avoir été interrogé sur ce sujet, José Marthe, Conseiller municipal à Lourdes, se souvient en avoir entendu parlé dans sa famille alors hôtelière à Lourdes. Un début d'existence mais José n'était pas encore né.

- Un survivant....

Le 9 avril 2005, Gérard Piquet m'écrit:

"...Certains pensent que ce fait aurait été occulté. Cela expliquerait peut être, tout au moins en partie, les raisons pour lesquelles mes recherches de témoins rencontrent peu de succès.

"A la suite d'un article dans un hebdomadaire marseillais je viens d'avoir un premier contact avec une personne qui se trouvait avec moi à la même époque en 1943/1944 au même hôtel Saint-Victor. C'est le premier de mes anciens camarades d'alors que je retrouve. Vous pensez bien que j'en suis fort heureux. Il avait 14 ans lorsqu'il est arrivé à Lourdes, et moi 10. Ces quelques années de plus lui permettent donc d'avoir des souvenirs beaucoup plus précis que moi. Il me fait savoir qu'étant juif il a été noyé dans cette foule d'enfants pour y être caché. J'ai ainsi pensé que vous seriez intéressé de connaître ce fait.

"J'ai appris que le directeur général des "Centres médico-scolaires" s'appelait monsieur Friquegnon, qui était par ailleurs résistant. Il avait recruté parmi les moniteurs des centres, des réfractaires au STO. Parmi les moniteurs et monitrices il y avait une Janine Constantin, enseignante de la région de Bordeaux. Elle était aussi cheftaine de louveteaux et très éprise du scoutisme.

"La plupart de ces personnes sont sans doute aujourd'hui disparues...."

- Il cherche encore

Un travail de mémoire s'impose. Gérard Piquet est obstiné et poursuit ses recherches. Il sera prochainement à Tarbes pour chercher aux Archives départementales et revenir sur les lieux de son enfance.