Accident de Via Ferrata de Valloire en 2000

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Dans cette d’accident sur une Via Ferrata à Valloire, nous ne retiendrons que l’analyse experte faite par Olivier de La Robertie

Un jugement rendu le 13 mars 2000 par le Tribunal de Grande Instance d'Albertville est sans doute la première décision concernant un accident mortel survenu à l'occasion de la pratique de «via ferrata».

- Les faits sont simples

Le 23 juin 1999, un groupe de trois personnes entreprennent ensemble l'ascension de la via ferrata du rocher Saint-Pierre à Valloire: deux jeunes filles sportives, mais débutantes, Marie-Laure et Isabelle, et Claude, pompier professionnel et habitué des vie ferrate. Le groupe progresse sans difficulté, Claude en tête, suivi de Marie-Laure et d'Isabelle. Lors d'un passage des mousquetons, Marie-Laure a oublié de «démousquetonner» le mousqueton aval et a donc été bloquée dans sa progression, une fois sa deuxième longe tendue. Elle aurait alors tenté de démousquetonner «à bout de bras» (donc tenue par un seul bras...), puis aurait lâché prise. Mais au lieu d'être immobilisée par sa première longe à hauteur du point d'ancrage, elle est tombée dans le vide par suite de la rupture du mousqueton à vis reliant l'absorbeur et les deux longes au baudrier.

L'expert a conclu «à une mauvaise utilisation du matériel par la victime, à un diamètre inadapté de la longe passée dans l'absorbeur et à un mauvais emplacement du mousqueton à vis qui au lieu d'être placé sur la pontet a été passé dans les boucles du baudrier entraînant un arc-boutement de l'absorbeur sur le mousqueton» (Jugement, p. 4).

Il est important de noter encore que:

«Par conclusions supplémentaires du 5/12/99 l'expert précisait que selon les tests, on peut obtenir la rupture du mousqueton par arc-boutement de l'absorbeur sur le doigt du mousqueton par un effort d'environ 700 kg et que le problème de l'arc-boutement lui était jus que-là inconnu ». (Jugement, p.5).

Ce phénomène d'arc-boutement d'une pièce métallique par une autre, chacune prévue individuellement pour résister à des forces très importantes, a conduit à créer une combinaison mortelle. Le mousqueton à vis a cédé alors que la victime se tenait à bout de bras au-dessus du dernier point de protection, soit la chute de quelques décimètres d'une jeune femme... Des poursuites pénales ont été engagées, au moins pour permettre à toutes les personnes impliquées et à la famille de Marie-Laure d'y voir clair. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le résultat des investigations techniques fera frémir tous ceux qui, rétrospectivement, considéreront les situations de chute qu'ils ont connues, que ce soit en via ferrata, en rocher, en glace, etc. (voir les positions aléatoires des mousquetons par rapport à des pitons, etc.).

Certes, il n'est ici question que des conditions de travail de deux pièces métalliques entre elles, et d'un choc survenu sans élasticité de la corde, mais on peut supposer que leur(s) concepteur(s) devaient les avoir dessinées et calculées justement en fonction de toutes les hypothèses de positionnement... c'est-à-dire, même des positions peu probables. C'est dans ces conditions tragiques que le Procureur de la République a poursuivi Claude S. et Isabelle G. «Claude S. et Isabelle G. sont alors tous deux poursuivis pour homicide involontaire, compte tenu du choix d'une voie classée très difficile alors que la victime était débutante, compte tenu du matériel inadapté utilisé et compte tenu d'explications insuffisantes ainsi que de l'absence d'utilisation de corde en guise d'assurance complémentaire.»

Le Tribunal a, d'emblée, relaxé Isabelle G., qui n'avait pris aucune part aux événements (choix de l'itinéraire, choix et fourniture de l'équipement, débutante dans l'activité...).

Pour ce qui concerne Claude S., les débats ont conduit également à sa relaxe, mais sur la base d'une motivation très serrée, qu'il convient de reproduire

«Les débats à l'audience ont permis d'établir que la via ferrata du Rocher Saint-Pierre est classée TD (très difficile) sur certaines brochures spécialisées mais qu'elle ne présente pas de difficulté technique importante et que de plus, de nombreux échappatoires ou variantes ont été prévus, rendant ce classement inapproprié. Il apparaît d'autre part que les principales difficultés avaient été toutes franchies sans encombre par le groupe et que Marie-Laure, jeune fille sportive, ne semblait pas particulièrement fatiguée ou impressionnée.

Il a été de plus rappelé par l'expert que la pratique de la via ferrata ne demande pas de technicité, mais une bonne condition physique. Tout permet donc de considérer que le niveau d'aptitude physique de la victime lui permettait d'aborder cette via ferrata qui répétons-le, comportait divers échappatoires, et qui ne présentait pas de difficulté technique particulière.

Les débats d'autre part ont permis d'apprendre que l'absorbeur utilisé avait été acheté par Monsieur S. en février 1996 alors qu'il était vendu à l'époque sans notice d'emploi; que la corde l'équipant avait été installée par le vendeur alors qu'elle était en réalité d'un diamètre insuffisant et que de plus il n'a pas été établi s'il s'agissait d'une corde statique ou dynamique (capable d'absorber ou non des chocs).

Il convient de relever que Claude S. avait pris la précaution d'équiper Marie-Laure R. d'une longe avec absorbeur alors qu'environ la moitié des pratiquants ne se servent encore que de deux sangles sans absorbeur, ce qui se révèle tout à fait inefficace en cas de chute (rupture des sangles). D'autre part, la jeune fille était équipée d'un casque et de chaussures de trekking tout à fait adaptées à l'activité.

Enfin, le baudrier utilisé était en bon état et l'on ne peut reprocher à Claude S. d'avoir fait passer le mousqueton dans les boucles du baudrier plutôt que sur le pontet, cette pratique étant régulièrement admise et même préconisée jusqu'en 1998. Il apparaît donc que l'équipement utilisé était parfaitement adapté.

L'expertise a permis d'établir que la rupture du mousqueton n'est pas la conséquence d'un diamètre insuffisant de la longe ni d'un mauvais placement du mousqueton sur le baudrier, mais d'un arc-hautement de l'absorbeur sur le mousqueton, l'empêchant de travailler dans l'axe du doigt, et exerçant sur celui-ci une force suffisante (bien que très faible par rapport à celle pour lesquelles les mousquetons sont conçus pour résister) pour entraîner cette rupture.

À l'audience, Monsieur B., conseiller technique montagne pour le Conseil Général et guide, entendu à titre de renseignement, précise même qu'après des tests consistant à faire chuter une masse de 55 kg sur une corde dynamique d'une hauteur de 50 cm et avec arc-boutement, le mousqueton a cassé à 220 kg.

Enfin, il a été précisé à l'audience par l'expert que la fixation directement sur le pontet n'empêche pas ce phénomène d'arc-boutement ou de vrille de l'absorbeur sur le mousqueton. En outre, depuis cet accident, les constructeurs ont sorti de nouveaux modèles d'absorbeur n'utilisant pas de mousqueton intermédiaire entre le baudrier et l'absorbeur.

L'accident n'est donc pas dû à l'emploi d'un matériel inadapté ou non conforme, mais à un positionnement spontané de l'absorbeur dans le mousqueton faisant travailler ce dernier de façon non conforme à sa destination et entraînant sa rupture bien que la force initiale exercée soit relativement faible.

Sur la question de l'encordement de la victime, il apparaît que si les manuels préconisent d'avoir une corde avec soi à utiliser en cas de difficulté (orage, passage délicat, etc.) il n'est pas d'usage de s'encorder si l'on est déjà équipé d'une longe et a fortiori si celle-ci est munie d'un absorbeur.

Rien ne permet donc d'affirmer que Claude S. devait encorder Marie-Laure R. et rien ne permet d'établir qu'il ne lui a pas donné les conseils suffisants pour pratiquer l'activité.

En conséquence, le Tribunal ne peut que constater que Claude S. n'a pas commis de délit qui lui est reproché. Qu'il convient en conséquence de le relaxer». (Jugement p. 5 et 6).

L'exemple de la masse de 55 kg, qui, ne tombant que de 50 centimètres brise net un mousqueton, dans des conditions de positionnement identique, a dû être déterminant pour le Tribunal pour dire que le leader n'avait commis aucun manquement aux règles de l'art et le matériel globalement conforme... Claude S. ignorait certains principes «négatifs» des pièces métalliques travaillant en porte-à-faux.

- On approuvera donc sa relaxe.

Par contre, on regrettera que le Procureur de la République, qui a dirigé les poursuites à l'égard de CLaude S. et d'Isabelle G. n'ait pas cru devoir également poursuivre les fabricants et/ou vendeurs sur la base d'un défaut manifeste d'instructions/insuffisance de renseignements éventuelLement causal du décès de Marie-Laure (art. 221-7 et 121-2 du Code Pénal). Si l'on peut admettre des pratiquants l'ignorance des principes de physique, on peut attendre des fabricants de matériels de sécurité (mousquetons/absorbeurs/Longes etc.) une garantie de parfaite efficacité, et à défaut, une notice claire et complète présentant les dangers graves de certaines positions, ou de certains usages, des objets vendus, voire soulignant les incompatibilités avec d'autres matériels.

Le seuil de rupture de certains mousquetons travaillant en porte-à-faux (220 kg...), tel que soumis au Tribunal, laisse perplexe sur la marge de sécurité réelle en l'absence d'une quelconque élasticité intermédiaire.

Il ne s'agit pas de garantir les suites d'un vice caché du matériel (encore qu'au cas particulier, le mauvais travail de deux pièces de métal devrait pouvoir être qualifié de vice caché sur le terrain de l'impropriété à la destination...).

D'une façon pLus pragmatique, il s'agit de maintenir un haut degré de sécurité des usagers

«Les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes». (Code Civil - Art. L 221-1 du Code de la consommation).

L'arc-boutement de l'absorbeur sur le mousqueton à vis peut être observé de façon empirique comme étant l'une des multiples positions possibles sur le terrain, de même que l'on voit parfois des mousquetons en porte-à-faux dans certaines positions.

- Les combinaisons sont au demeurant aléatoires.

On devine les différentes questions que le ministère Public aurait pu poser au(x) fabricant(s) incriminé(s)... en particulier sur le point de ce «positionnement spontané...» des éléments.

Quant aux pratiquants de «via ferrata», et en particulier les responsables de sortie, on ne saurait trop leur recommander d'encorder les débutants dans l'activité.

Olivier de La Robertie
Docteur en Droit
Avocat au Barreau de Paris
Membre du comité juridique du CAF.

Source: Club Alpin Français - 15 septembre 2000