Entre 1973 et 1977, Bruno Besche-Commenge avait réalisé un travail d'enquête auprès des
éleveurs-bergers du Haut Salat (Ariège - Pyrénées) pour la préparation de sa thèse sur "Le savoir des bergers de Casabède". D'autres enquêtes (orales et en archives) sont depuis
venus enrichir sa connaissance du pastoralisme pyrénéen. Il prépare à l'heure actuelle plusieurs ouvrages sur ces problèmes.
Aujourd'hui, il témoigne en faisant le rapprochement entre ce qu'il vient de constater dans la vallée d'Ossoue (Gavarnie - Hautes-Pyrénées) et ce que lui a raconté un berger
ariégeois il y a 30 ans.
J'étais présent avec l'éleveur concerné dans la vallée d'Ossoue, au dessus de Gavarnie, le mercredi 20 septembre 2006, lorsque les gardes du Parc National sont venus expertiser trois brebis, déjà curées par les vautours (voir: Lourdes-Infos). L'une d'elles présentait une caractéristique étonnante: des reins en allant vers le cou, la peau était repliée, retournée comme qui écorche un lapin, et remontait jusqu'à la tête qu'elle recouvrait, telle une capule autrefois sur les têtes des femmes. Impossible bien sûr que les vautours aient procédé à une telle opération, digne d'un boucher efficace.
J'ignore bien sûr si cette brebis sera ou non reconnue victime d'un ours. Mais cette surprenante inversion de la peau, son caractère presque parfait, professionnel, me firent penser à des récits que j'avais enregistrés auprès d'éleveurs-bergers du Couserans (partie ouest de l'Ariège) dans les années 1975-80. Je suis en train de reprendre certains de ces récits dans un livre, quasiment achevé, consacré aux problèmes posés par les importations d'ours slovènes, et notamment aux formes diverses du pastoralisme pyrénéen, aux techniques de garde, de soin, de sélection génétique, telles que les recherches historiques et ethnologiques permettent de les reconstituer. Rien à voir avec le monde rêvé, non pas "des anges", mais des manipulateurs d'ours!
De mon manuscrit, j'extrais ce récit. On y retrouvera une description de la façon dont l'ours pelait ses victimes, qui correspond exactement au peu agréable spectacle qu'offrait la brebis ainsi écorchée. Je dédie ici ce récit à Sylvain Broueilh, propriétaire de cette brebis et membre de l'A.O.C Barèges-Gavarnie. J'ai eu la malchance, mais très égoïstement la chance, de l'accompagner ensuite jusqu'à la frontière d'Aragon à la recherche d'une partie de ses autres brebis, dispersées, sans doute effrayées, mais par quoi? J'ai mon idée bien sûr, mais ce n'est pas à moi d'en juger. Il faisait heureusement très beau, ce fut aussi et malgré tout, une belle journée de montagne.
Le texte, comme les photos qui l'accompagnent, font l'objet d'un copyright. Tous droit de reproduction sont donc réservés sans mon accord. Le texte original est en gascon, je n'ai pas eu le temps de le retranscrire, je n'en donne donc que la traduction, et c'est très mal. Mille excuses à tous les gasconophones.
"Moi: et des ours, il y en a par ici?
Adrien: des ours? Tu penses!!! Il y a quelques années, il y en a eu, oui. En 48, 49, pendant deux ans, et depuis on n'en a plus jamais vu. Mais une année, en 48 ... non, c'était
en 49 que ça a été le plus fort, il nous a foutu trente-deux bêtes en l'air ici. Un soir sept, juste au dessous du Col d'Aoubiès, là où je t'ai fait voir le passage tantôt, là
où on est monté. Juste sous ce col. Nous on l'appelle Escalo Blanco, après sur les cartes qu'ils te le baptisent comme ils veulent! (c'est le col où traîne un banc de brume, entre
les deux premiers sommets à droite de la photo, altitude: 2219 mètres)
Et bien, un vendredi soir, sept: s'en manger trois et tuer les quatre autres ; mais il en mangea trois en entier quand même! Il y en avait une de chez le Taïchou, de la Serro de
Nougué là-bas, il me semble que je la vois encore, elle était noire et elle avait la cloche, regarde si ça leur fait peur la cloche! Et en dessous, quand on est descendu par Lizèrt
tout à l'heure, juste au col, avant de traverser, à trente mètres du col, une autre, elle était de chez Barrau, avec la cloche aussi. Il avait plié la cloche dans la peau jusque
derrière les oreilles là, et l'avait mangée en entier. Et il avait déposé une bouse juste derrière, à la place où il l'avait mangée!
Et le premier soir où nous sommes montés à la cabane avec les vaches, toujours en 49, c'était le 27 ou le 28 mai, juste ici, à deux cents mètres au plus en ligne droite eh! Nous
étions 11 hommes à la cabane, avec chacun son chien, et, tu sais, le premier soir où les vaches arrivent à la cabane, ça fait un bruit de tous les diables, toutes les cloches qui
sonnent, et meugler ... Et malgré ça, il en a attrapé une. Le soir, j'étais descendu et j'avais laissé les brebis en venant par le Pas d'Aoudè, et bien il est venu se la manger
là-haut, à deux cents mètres de la cabane en ligne droite, et il y avait onze hommes et onze chiens ici. Personne n'y a rien compris ... venir manger cette brebis juste le jour de
la montée des vaches, elle était à mon frère. Les brebis étaient là depuis quelques jours déjà, il n'y avait pas touché, et c'est ce soir là qu'il te l'ajusta!
Et ces ours c'était quelque chose de terrible. Ils arrivaient des sapinières du Certescans et du Tabescan, là-bas en Espagne, et alors entre bergers, maintenant il n'y a plus
personne, entre bergers on se le dit ça tu sais: "ils se sont mis au travail, ils ont tué tant de bêtes, ils étranglent sur la montagne d'Ustou" ... alors là c'est officiel,
les vieux nous le disaient: huit jours après, ici. Alors ici ça dépendait: parfois en tuer sur la montagne de Soueix et se les manger et chez nous non, parfois l'inverse. Et
ensuite ils passaient sur Bethmale, à Eychélé, mais au Tos et à Aoutro Sèrro, ça ils n'y échappaient jamais, c'est leur passage.
Cette année-là, ça allait mal, trente deux bêtes tu te rends compte de ce que ça représente? On n'était pas riche, on ne l'est pas davantage mais c'est façon de dire, alors tu
sais ... quand même ... Et le coup des sept, il y en avait cinq du même propriétaire; c'est comme le coup de la foudre cette année: il y en a eu dix-neuf de tuées, et le même en a
perdu huit, les sept autres c'est deux autres.
Ah ça, ils sont malins! Les brebis ils les commencent toujours ici, au sternum. Ils continuent la coupe, ils replient la peau, aussi bien qu'un boucher, finement fait, ce n'est
quand même pas comme au couteau bien sûr! et ils la mangent. Mais la coupe est nette tu sais, à mesure ils replient la peau, et alors ils dévorent là-dedans, replier la peau et
manger, replier la peau et manger, et quand ils arrivent au foie, le foie tu l'auras toujours de côté, ils n'y touchent jamais, ça doit être à cause du fiel qu'ils le laissent. Et
les pattes, ils te les décapent jusqu'aux onglons eh! Sur les pattes, la peau est si bien relevée que tu as pas de boucher qui fassent aussi fin ... maintenant tu en as quand même
de plus ou moins déchirée, mais de la viande encore accrochée à la peau tu n'en as plus du tout, ça doit être la meilleure.
Au Pas d'Aoudè, là ou tu as pris la photo, il y a un passage où les brebis passent tout le temps. Là une fois il en a raté une des miennes: il lui a flanqué la patte sur les reins,
comme ça, il s'est fait suivre le cuir, mais le passage est étroit et il devait y avoir urgence, tu comprends, les brebis avec Monsieur derrière!... Alors il posa la patte sur
celle-là, lui arracha le cuir sur la moitié des reins, mais la brebis prit le large, elle fit le saut en bas et il ne put pas la retenir, mais elle fut morte quand même. Il te
l'avait attrapée comme si je te t'empoignais le tricot là, au milieu des reins, et le faire suivre en arrière, et pardi la brebis était une vaillante, elle sauta, elle lui sortit
des doigts. Et ce salop n'a pas sauté, il n'a pas sauté lui! Saloperie!"
Auteur: Bruno Besche-Commenge, Saint-Girons - Ariège. Vendredi 22 septembre 2006
Suite à la mort de 3 brebis constatée mardi dans la vallée d’Ossoue, les gardes du Parc National sont montés mercredi matin pour faire les constats dans des conditions matérielles difficiles. Les cadavres avaient été totalement mangés par les vautours (il ne faut que quelques heures à des vautours pour faire le nettoyage) rendant ainsi l’autopsie presque impossible. Toutefois, la situation est assez curieuse.
Actuellement personne ne peut répondre aux interrogations. S’agit-il d’un ours de passage ou d’un autre prédateur? Par souci de recherche de la vérité, les gardes ont souhaité qu’un dossier de prédation soit rempli sur lequel ils mentionnent la totalité de leurs observations. A noter que l’éleveur aidé par plusieurs amis, a pu retrouver la totalité de son troupeau qu’il a redescendu au parc de tri de la cabane de Milhas vers 20h30. Aucune autre perte n’a été constatée dans le troupeau.
Auteur: Louis Dollo, le 21 septembre 2006