Après la stupéfaction c'est la déception. Le sentiment de l'humiliation et du néant du travail accompli par tous ceux qui avaient accepté d'être à la table de discussion.
Maintenant, plus rien ne sera comme avant et ça risque d'être du n'importe quoi.
Cette histoire d'ours et de comportement du lobby des associations écologistes risque d'ouvrir des plaies difficilement guérissables et des abimes entre la population des
territoires de montagne des Pyrénées et les décideurs du Ministère de l'Ecologie.
Le ministre a parlé. Et les calendriers respectifs de l'Etat et des acteurs locaux engagés autour de l'Institution patrimoniale paraissent plus que jamais contradictoires. Illusion?
C'est bien ce que pense le sous-préfet, Claude Gobin, qui estime depuis longtemps que leur concordance interviendra forcément. Hier, Serge Lepeltier n'a pas dit le contraire:
"Nos calendriers vont se rapprocher. Nous allons encore être amenés à discuter. L'idée est de préparer les modalités d'application en concertation avec les parties prenantes. Il
faut aussi penser au pastoralisme. C'est quelque chose d'essentiel". Comment vont désormais s'articuler les prochaines réunions prévues à l'Institution patrimoniale? La prochaine
devait avoir lieu le 19 janvier autour de la commission de renforcement de la population d'ours mise en place lundi dernier. "On peut penser qu'une rencontre va rapidement
s'organiser pour que tous les membres s'expriment, analysent ensemble l'annonce du ministre et voir s'il est possible de déterminer une position unique", commente Didier Hervé, le
directeur de l'IPHB. Localement, les conclusions de la commission de renforcement devaient faire l'objet, à partir du 28 janvier d'une large concertation pendant un mois. Jean
Lassalle (1) avait même annoncé l'éventualité d'un referendum. Avant une synthèse (le 23 mars) et une décision définitive le 25 mars... Gérard Caussimont, président du Fonds
d'intervention éco-pastoral, milite, lui, pour que le lâcher d'ourses intervienne entre mai et juin. "Pour laisser un temps d'adaptation avant d'affronter les mauvais jours et
l'hiver". D'autres, comme Jean Lassalle, penchent plutôt pour l'automne. Une fois les estives passées. Faudra-t-il encore miser sur le ministre pour trancher ? Une chose est
sûre: il va falloir maintenant composer avec un milieu agricole en grogne et des élus en colère.
(1) Nous n'avons pas été en mesure, hier, de joindre Jean Lassalle
Source: Sud-Ouest du 14 janvier 2005
Eleveur de brebis à Laruns, Stéphane Chétrit ne cache pas sa colère
C'est le premier mot qui vient à l'esprit de Stéphane Chétrit, éleveur de brebis à Laruns et délégué montagne chez les Jeunes agriculteurs, en réagissant à l'annonce faite par le
ministre de l'écologie et du développement durable. "Depuis dix ans, tout le monde joue le jeu de la désinformation sur la sécurisation pastorale, le nombre d'ours et les moyens
donnés aux éleveurs... En brodant tout cela de fil d'or, et en affirmant que tout va bien"
"Alors, que voulez-vous que disent les bergers ? Chaque fois qu'ils ont essayé de tirer le signal d'alarme sur les dysfonctionnements constatés sur le terrain, ils n'ont pas été
écoutés. Car la sécurisation pastorale face à la présence de l'ours n'existe pas! Où alors, elle relève du bricolage. On met trois spots sur des cabanes de bergers, et on pratique
l'effet d'annonce. En mettant dans la tête des gens qui ne sont pas au courant de ce qui se passe en montagne, que tout est pour le mieux".
De là à estimer que le gouvernement "flatte l'opinion publique" parce qu'un enjeu électoral se profile derrière l'annonce de la réintroduction massive des ours, il n'y a qu'un pas.
"C'est vrai qu'il y a plus à obtenir en donnant satisfaction aux 80 % des Français qui ont été touchés par la mort de Cannelle qu'aux 0,3% d'éleveurs que l'on trouve sur le massif
des Pyrénées" ajoute-t-il, avec amertume.
"Il n'en reste pas moins que c'est nul! Car cette décision va avoir des effets très néfastes. Ici, les gens vont se braquer. Souvenez-vous de ce qui s'était passé à Asson avec
l'ours Néré. Avec les bergers qui étaient descendus, et une cinquantaine d'attaques de bêtes en deux semaines. Ca va être n'importe quoi!"
"J'ai 33 ans, et dans dix ans je serai encore là. Mais que l'on ne vienne pas par la suite me conter fleurette dans ma cabane, ni compter sur moi pour trouver des solutions afin de
limiter les prédateurs ou protéger les troupeaux. Il n'y aura plus aucun dialogue. On a voulu des ours? Que l'on se démerde!" lance-t-il.
"Cela dit, je ne souhaite qu'une chose, qu'ils ne bouffent pas un touriste. Car une femelle qui a un petit, elle fait comme tous les mammifères du monde, elle le protège".
Revenant à l'impact qu'une telle mesure peut avoir sur la profession, Stéphane Chétrit continue à ne pas mâcher ses mots. "Il faut vraiment en vouloir pour pratiquer ce métier.
Et ce n'est pas un cadeau que l'on nous fait. Alors, les plus anciens vont partir plus vite et les plus jeunes n'y viendront pas. Et on fera peut-être un jour comme pour les ours:
on réintroduira des bergers quand il n'y en aura plus".
Auteur: Jean-Jacques Nicomette
Source: Sud-Ouest du 14 janvier 2005