Le Monde des Pyrénées

Randonnée dans les Pyrénées qui s'est bien terminée, mais...

Comme pour le "récit inquiétant", je trouve que cette randonnée est inquiétante. Alors que je travaillais au refuge de La Glére, je me souviens de cette aventure qui était arrivé à un de ces moniteurs d'opérette (pas seulement au sens figuré puisqu'un des guides a terminé à l'Opéra de Paris tout en gagnant 3 sous sur le toit d'un grand magasin de sport) que l'on rencontrait à cette époque à l'UCPA. En dehors du fait qu'il n'avait aucune connaissance de la région, leur niveau de compétence laissait à désirer... j'en avais même récupéré un qui, avec tout son groupe, était tombé dans un lac du côté de la Glère.

Je vous laisse apprécier avant de commenter.

Auteur: Francois......
Date: 20 nov 2002

Mur de la Cascade

Barèges est un très joli village des Pyrénées, au pied du col du Tourmalet (là-bas, ils prononcent "Tourmalette"), célèbre pour son tour de France. Le centre UCPA est abrité dans une espèce de bâtisse immense, complètement kitsch, style architectural: "thermal 1930", avec des corridors lugubres, sans fin ni d'un côté ni de l'autre, des recoins mystérieux, des greniers poussiéreux où le vent gémit sous les tuiles, des escaliers bancals conduisant vers des pièces improbables, désertées depuis des lustres, oubliées des dieux et des hommes, une façade telle qu'on les fabriquait en ces temps là, d'une architecture compliquée, tarabiscotée, un mélange de bois et de pierre, de faïence, de verre bleu, rose, des volutes contournées, de la crème Chantilly partout, des petites mansardes, des grandes fenêtres et des petites aussi, des pignons décalés, des petites tourelles, des créneaux et des mâchicoulis... Il n'eut pas été surprenant d'y croiser, dans un couloir, un alpiniste des années 30, en chaussures à clous et bandes molletières, errant comme une âme en peine à la recherche du temps perdu, une lanterne à la main. La toiture était à l'avenant: des pointes, des pics, des paratonnerres, des trucs décoratifs en fer rouillé, des pentes dans tous les sens, des gargouilles qui dégoulinaient mélancoliquement les jours de pluie...
C'était là que nous officiions.

L'accueil du chef de centre avait été plutôt rafraîchissant.
- Mais...j'avais demandé deux guides! s'écria-t-il d'un air outré.
Nous n'étions que simples moniteurs et tout frais moulus du stage de formation.
- Qu'est-ce que je vais faire de vous?

Ca commençait bien.

Après réflexion et petite leçon de morale (Dieu sait pourquoi), il nous a confié un groupe que nous avons mené, une semaine durant, en randonnée alpine dans le massif du Néouvielle. Le dernier jour, nous nous sommes perdus. Il y avait du brouillard et, au lieu de passer la Hourquette de Mounicot (c'est des noms de par là-bas), nous avons pris le pas de la Crabe, ce qui nous a conduit du mauvais côté du col du Tourmalet, à la Mongie je crois, alors que le car nous attendait sur l'autre versant. Encore aujourd'hui, je me demande comment on a fait pour se tromper: si on regarde la carte, on voit que, par rapport à ousqu'on était, les lacs Dets Coubous (où, soit dit en passant, l'UCPA avait installé un camp provisoire sous toile et y avait affecté un cuistot spécialiste des crêpes à la bière. L'étape dans ce camp était fort prisée et le lendemain, les départs étaient laborieux), les deux passages sont diamétralement opposés. On n'a pas du tenir compte d'une histoire de 180° dans un calcul d'azimut. Il fallut repasser le col en stop pour récupérer le car. Puis nous avons eu une explication tumultueuse avec le chef de centre.

Que celui qui ne s'est jamais perdu nous jette la première pierre. Ne lapidez pas le prophète!
A la suite de cet exploit, dont il ne nous a pas été tenu rigueur finalement, nous avons eu à coeur de prouver notre compétence. Le dimanche suivant, mon camarade est allé, en solo, à l'arête des Trois Conseillers, au pic du Néouvielle et moi-même j'avais choisi le Mur de la Cascade, à Gavarnie, qui me semblait de nature à redorer mon blason. Ce choix m'avait paru particulièrement judicieux. Le Mur de la Cascade est la grande paroi qui ferme le cirque: Trois cents mètres d'escalade pas très difficile mais spectaculaire, un vaste public pour admirer (tous les visiteurs du cirque, et Dieu sait s'il y en a!) et un retour relativement rapide par des échelles quelque part, si je me souviens bien; les Sarradets? (c'est vieux, tout ça).
Il était dit dans le topo: "grimper à gauche de la cascade". Je n'y voyais pas d'inconvénient. Des cascades, il y en avait une bonne douzaine. Il y en avait partout. De toutes façons, on était toujours à gauche d'une cascade.

J'ai relu le topo: "grimper à gauche de la cascade". J'ai donc choisi la plus grosse. Ce n'était pas la bonne. Vue de loin, cette cascade-là avait l'air d'une cascade normale. En fait, vue de près, c'était une espèce de Niagara qui déversait des trombes d'eau, et quelques pierres pour faire bonne mesure, qui déplaçait des masses d'air colossales dans un fracas d'apocalypse, je sentais les embruns et le souffle à cinquante mètres. Impossible de traverser. Je suis redescendu.

Après quelque errance, j'ai retrouvé la bonne voie, franchi le trou boueux - Ce trou boueux, indiqué dans l'itinéraire, m'inquiétait. Le passage difficile, du V je crois à moins à moins que ça ne fût que du IV+, je ne me souviens plus trop, se trouvait juste au-dessus de ce trou boueux. Un trou boueux n'est jamais sympathique et je ruminais de noires pensées- franchi le trou boueux donc, après avoir nettoyé les semelles de mes super-guide avec une conscience et une application qui eussent fait l'admiration de mes professeurs, et traversé la cascade (la bonne cette fois) qui s'apparentait plus à un paisible ru vosgien qu'à un terrible torrent pyrénéen. On était tout de même rincé à fond à la sortie. La suite s'est déroulée sans histoire.
De retour dans le fond du cirque, je me suis aperçu, avec un certain dépit, qu'un gugus qui grimpe dans cette paroi est absolument invisible du bas. Mes rêves de gloire et mes illusions se sont alors envolés.

Ma conclusion est que, que ce soit du IV ou du VI, si on rate son coup, on finit comme une bouse au pied de la paroi. C'est ma conclusion.

Ce fut, paraît-il, m'a-t-on dit, la première solitaire du Mur de la Cascade à Gavarnie. Cette affirmation est à prendre cependant avec pincettes et prudence, comme l'expérience le montre. Cet exploit n'a eu aucune incidence sur la suite de ma carrière ni, d'ailleurs, sur la dorure de mon blason.
Sic transit gloria mundi...

Nota: le texte a été reproduit dans son intégralité sans aucune modification ou correction.

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