Patrick Edlinger restera une légende de l'escalade

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Au-delà de sa disparition, Patrick Edlinger est et restera une légende pour beaucoup de grimpeurs. Tout le monde a en mémoire ses escalades en solo et surtout le film qui l’a propulsé sur le devant de la scène médiatique: «La vie au bout des doigts»
Il aura fait rêver de nombreux grimpeurs et suscité des passions.

- Patrick Edlinger, pionnier de l'escalade à mains nues

Climbing Attitude, les Contraintes de la Liberté

Il était devenu une célébrité en France du jour au lendemain. En 1982, Antenne 2 diffusait dans l'émission "Les Carnets de l'aventure" le film La Vie au bout des doigts, réalisé par Jean-Paul Janssen. Encore limitée à un cercle d'amateurs, l'escalade était subitement dotée d'un visage: anguleux, avec une lueur mystique dans le regard, sous une longue chevelure blonde retenue par un foulard rouge. Fin et musclé, les épaules rougies au soleil, le corps possédait une grâce chorégraphique qui faisait retenir leur souffle aux téléspectateurs. Défiant les lois de la pesanteur, Patrick Edlinger se suspendait d'une main avant de franchir un surplomb. Le plus célèbre grimpeur français est mort vendredi 16 novembre à son domicile de La Palud-sur-Verdon (Alpes-de-Haute-Provence). Il était âgé de 52 ans. Les circonstances de son décès n'ont pas été révélées. Avant lui, l'escalade n'était qu'une section de l'alpinisme. Il lui a permis de conquérir son autonomie et ses lettres de noblesse à une époque où les murs de varappe urbains n'existaient pas.

Le Varois devait honorer de sa présence jeudi 22 novembre les Rencontres du cinéma de montagne à Grenoble qui avaient programmé les deux films de Jean-Paul Janssen: La Vie au bout des doigts, donc, montrant le tandem qu'il avait formé un temps avec Patrick Berhault, mort en 2004, et Opéra vertical (1986), où Edlinger évoluait en solo intégral, pieds nus et sans assurance. Le premier a pour cadre les falaises de Buoux, dans le Lubéron, et le second le paradis verdoyant des gorges du Verdon, deux places fortes de la grimpe que Patrick Edlinger a contribué à mythifier. Sous le choc, les organisateurs de la manifestation iséroise soulignent "qu'au-delà de ses prouesses techniques invraisemblables", le disparu incarnait "une nouvelle philosophie de la grimpe et de la vie", complétant les "valeurs classiques de l'alpinisme comme l'engagement et le dépassement de soi" par une pratique liée "à l'amour et au respect de la nature, à la liberté et à l'esthétisme".

Secret jusqu'à sembler parfois impénétrable, Edlinger a offert en effet une alternative radicale au clinquant et à la vulgarité des années 1980 symbolisées par la réussite de l'entrepreneur Bernard Tapie. Le magazine Actuel, porteur des idéaux de la contre-culture, est parmi les premiers à s'intéresser à son cas. Un adjectif semble entièrement le définir: ascète. Avant la vogue des travellers altermondialistes, Edlinger est un nomade, qui vit dans son camion et se contente "d'un verre d'eau et [d'] un sandwich". Pas d'excès sauf sur la paroi, royaume de l'extrême. Sa vie à la verticale s'oppose à ceux qui préfèrent se coucher.

- Comme un Lézard sur la Roche

Né à Dax (Landes) le 15 juin 1960, Patrick Edlinger avait commencé à s'adonner à sa passion dès ses 8 ans. Lycéen à Toulon, il se fait les mains - et les pieds - sur la falaise du Baou des quatre Aures et s'entraîne avec Berhault. Les "deux Patrick" deviennent les figures de proue de l'escalade libre, qui ignore superbement les pitons et rejette le recours au matériel, corde ou baudrier.

Les deux hommes libèrent des voies mais s'opposent sur le retentissement à donner à leurs exploits. Edlinger opte pour la médiatisation de sa passion, Berhault préfère qu'elle reste circonscrite aux croyants. La communauté de l'escalade se scinde. Edlinger remporte les premières compétitions internationales, à Bardonecchia, en Italie ou à Snowbird, aux Etats-Unis, en 1985. Sa notoriété lui permet de trouver des sponsors. Le grand public l'adopte au point qu'il devient une des personnalités préférées des Français. Les amateurs ont tendance, eux, à critiquer l'icône trop voyante, qui gère son image comme un professionnel de la communication, avec un photographe attitré. La star aux faux airs de Michel Polnareff tourne des spots publicitaires et fait même une apparition dans un film de Claude Lelouch.

Catherine Destivelle, qui devient très populaire à la fin des années 1980, suit plutôt l'exemple d'Edlinger, sans déborder de sa discipline. L'alpiniste, qui avait participé aux premières aventures dans le Verdon avant de se tourner vers la haute montagne, a salué la mémoire de l'artiste: "Pas un n'égalait sa façon de grimper, il avait l'écart facial facile. Il tenait ça de son grand-père. Et cela rendait une gestuelle magnifique, c'était comme un lézard sur la roche."

La carrière d'Edlinger est brutalement stoppée en 1995, quand il fait une chute de 12 mètres, après rupture d'une prise, sur une falaise des Calanques. Victime d'un arrêt cardiaque, il doit abandonner le haut niveau et se retire à La Palud-sur-Verdon où il ouvre un gîte. Il est pendant trois ans rédacteur en chef de la revue Rock'n'Wall. Les lendemains de gloire sont difficiles. Selon son ami Jean-Michel Asselin, qui doit publier une biographie écrite à quatre mains fin janvier 2013 aux éditions Michel Guérin, Edlinger souffrait de dépression chronique et s'était réfugié dans l'alcoolisme. "C'est le combat le plus dur que j'aie jamais mené, comme un solo impossible, mais je vais m'en sortir", lui avait-il déclaré.

Interrogé par Le Dauphiné libéré, Gilles Chappaz, qui prépare un film sur la vie d'Edlinger, voit dans ce mal-être une conséquence du "basculement des gens de l'extrême lorsqu'ils reviennent sur terre et qu'ils se rendent compte de leur vieillissement. Ils ont vécu des choses tellement pleines, des émotions si pures, que l'angoisse de ne plus les revivre est forte (...). Mais même en s'entretenant, il savait qu'on ne peut pas être et avoir été". Ce livre de souvenirs et ce film prennent désormais une valeur testamentaire.

- Quelques dates repères

Auteur: Bruno Lesprit
Source: Le Monde du 23.11.2012