Cette enquête s'est déroulée sans incidents pendant six semaines. Les très nombreuses observations - plus de 300-directement inscrites sur les registres ou exprimées par lettre, témoignent de l'intérêt apporté par les habitants, les associations, les structures professionnelles ou les élus. Elles émanent pour un tiers d'Espagne et pour le reste de la Vallée d'Aspe, du Béarn, de l'Aquitaine, mais à peu près jamais de la Région Midi-Pyrénées.
Au sens strict de l'enquête, le public était invité à s'exprimer seulement sur le Tunnel et son immédiate voie d'accès, mais presque tous les intervenants, qu'ils soient ou non favorables au projet, ont débordé ce cadre strict et n'ont pas manqué d'intégrer le Tunnel sur l'itinéraire Pau-Saragosse. La Commission ne peut que prendre acte de la dimension élargie ainsi conférée à la consultation.
Les avis favorables, presque toujours sans réserve, sont de beaucoup les plus nombreux. Beaucoup n'expriment certes qu'une réaction passionnelle, un "oui au Tunnel", relayé par des autocollants sur les vitres des voitures, qui compensent largement quelques inscriptions négatives aperçues en Vallée d'Aspe. Il y a là un véritable plébiscite mais une enquête publique n'est pas un vote et son dépouillement ne saurait se réduire en une simple arithmétique et, dans l'avis qu'elle développe ci-dessous, la Commission s'est attachée à apporter une réponse à toutes les idées exprimées.
Elle se refuse toutefois à prendre en considération des avis qui, à travers cette enquête, ont pour objectif de condamner le transport routier en général qui serait coûteux, nuisant et consommateur de ressources énergétiques fossiles. Même s'il devait y avoir dans ces affirmations une fraction de vérité, d'ailleurs contestée, il s'agit en effet d'un problème très général d'environnement et de mode de vie qui transgresse de très loin le seul Tunnel du Somport et le cadre d'une enquête publique. Un avis de la Commission quel qu'il soit ne pourrait qu'être inutile et sans intérêt.
- Utilité du Tunnel du Somport
I.1 - En se limitant d'abord au plan socio-économique, la Commission a été surtout sensible aux réalités qui suivent:
- la récente accession à l'Europe des pays ibériques et le dynamisme de l'Espagne. L'Europe ne se termine plus aux Pyrénées.
- la concentration aux deux extrémités des Pyrénées des flux internationaux de transports et la médiocrité des itinéraires transpyrénéens centraux,
- l'enclavement consécutif de l'Aragon, vers le Nord et du Béarn vers le Sud.
- la complémentarité prometteuse des économies de l'Aragon et du Béarn, particulièrement dans le domaine agro-alimentaire, et l'intérêt marqué sur un plan plus général par la Région d'Aquitaine.
- l'existence réelle entre ces deux provinces de liens culturels et historiques, plus localement dans la Vallée d'Aspe, l'attente des retombées d'un tourisme vert, l'outil indispensable - même s'il n'est pas suffisant -que devient dons ce contexte l'axe routier Pau-Saragosse,
- les actions locales coordonnées déjà entreprises en Espagne comme en France pour améliorer cet axe. En France, elles s'inscrivent depuis 1985 dans un contrat de Plan
Etat-Région Aquitaine qui, sur la RN 134 en Vallée d'Aspe prévoit:
- en général un aménagement progressif sur place
- une vitesse de référence de 60 km/h
- un rayon minimum en plan de 120m
- un rayon minimum en profil en long de 1.500m
- une plate-forme de 11m pour y inscrire une chausséebidirectionnelle
- la création d'une voie supplémentaire quand la pente dépasse 4 %
- la déviation des agglomérations.
Des opérations telles que la déviation de Sarrance ont été les premières réalisations de ce programme.
I.2 - Le Tunnel du Somport, objet de la présente enquête, complète cet aménagement. Son utilité analysée ici du seul point de vue de la circulation routière, résulte des effets positifs suivants:
- par un tracé plus court que le passage par le Col du Somport, moins pentu et protégé contre l'enneigement, il offrira aux usagers un niveau de service comparable aux autres sections de l'itinéraire Pau-Saragosse,
- pour les mêmes raisons, il permettra une économie de carburant et un gain de temps, gain de temps, pour quoi faire? ont pu se demander ceux qui n'ont pensé qu'à la faible part des usagers qui emprunteraient l'itinéraire de bout en bout et ont oublié tous ceux, beaucoup plus nombreux qui n'en utiliseront qu'un tronçon assez court et seront d'autant plus sensibles à ce gain de temps.
- enfin, même si le Tunnel ne joue - objectivement - d'autre rôle que celui d'une très efficace déviation routière, un grand tunnel international reste l'image privilégiée d'un contact humain nouveau et le symbole de continuité et homogénéité de l'axe routier auquel il donnera son nom.
I.3 - Certains intervenants n'ont pas manqué - et il fallait s'y attendre - de replacer le Tunnel et sa fonction sur l'ensemble de l'itinéraire dont ils ne l'ont pas dissocié. Ils ont, à cette occasion, souligné la nécessité de coordonner les réalisations routières programmées en Vallée d'Aspe avec l'avancement des travaux du Tunnel et ont aussi rappelé l'intérêt qu'ils attachent à une future autoroute Pau-Oloron et même parfois Bordeaux-Pau. Mais quelques autres sous entendent que des aménagements en Vallée d'Aspe, qui ne recueillent pas leur adhésion pour des raisons de sauvegarde de l'environnement, ne seront rendus nécessaires qu'à la suite de la réalisation du Tunnel et que ces conséquences ont été occultées au public par la mise à l'enquête d'un dossier qui n'en traitait pas.
La Commission croit devoir ici rectifier quelques inexactitudes:
- le projet en Vallée d'Aspe est un aménagement sur place qui donne à la RN 134 les caractéristiques géométriques habituelles - d'une route nationale. Il ne s'agit donc ni de la création d'une voie nouvelle, ni de la transformation de la route nationale en autoroute ou en voie rapide,
- ces caractéristiques géométriques, qui n'offrent aucun caractère exceptionnel, ont été définies dès 1985 avec l'établissement du contrat de plan, donc bien antérieurement à toute procédure relative ou Tunnel. Il se trouve qu'elles restent compatibles avec l'accroissement prévisible de circulation induit par le Tunnel.
- Il n'y a donc pas lieu de les modifier et il était alors sans objet d'en faire mention dans le dossier d'enquête
- il n'y a là aucune dissimulation de l'information ni aucun tronçonnage d'un projet routier. Il est alors inexact d'évoquer l'irrégularité de l'enquête ou des actes
- administratifs qui en seraient la conséquence, en raison d'une violation des décrets des 23 Avril 1985 et 12 Octobre 1977 et de l'instruction européenne CEC du 27 Juin 1985.
- II - Rentabilité
Les arguments favorables au Tunnel sur lesquels la Commission vient de s'exprimer n'ont de signification, pour un ouvrage financé sur fonds publics que si:
- les investissements restent à un niveau acceptable,
- la fréquentation est suffisante.
Quelques doutes ont été exprimés sur ce point:
II.1 - Le coût de l'ouvrage a-t-il été correctement évalué?
Les estimations ont été établies par le CETU (Centre d'Etudes des Tunnels) qui dispose d'une ample documentation et d'une solide expérience toujours actualisée, puisque chaque année cet organisme conçoit et suit la construction d'une longueur moyenne de 8km de tunnel Dans le cas présent, il a aussi bénéficié des enseignements tirés de la construction du tunnel ferroviaire voisin et du comportement de ce tunnel depuis son achèvement.
Un trafic de 1.300.000 véh/an au Somport au bout de 20 ans n'est donc pas irréaliste: il est le quadruple du trafic actuel (soit 4 ans environ avant la mise en service possible du Tunnel) et le pourcentage de 30 % de véhicules lourds est encore plus probable.
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II.3 - Il y a donc, en conclusion, peu de risques que la collectivité s'engage dans un processus de dépenses anormalement élevées et non maîtrisées pour construire un ouvrage qui n'écoulerait qu'un trafic notoirement insuffisant. C'est bien là l'essentiel et tout calcul de rentabilité trop poussé n'apporterait qu'un supplément de précision tout à fait illusoire. La Commission tient ici à souligner que la vraie rentabilité d'un ouvrage comme le Tunnel du Somport ne peut se réduire en une économie de coût de transport pour ses usagers. Il s'agit en effet d'un équipement structurant et d'aménagement du territoire au niveau européen, dont on attend qu'il soit un catalyseur de l'économie de deux provinces. La circulation routière qu'il supportera ne sera que l'un des aspects visibles de leur réussite.
V - Conclusions
V.1 - La Commission s'est efforcée de montrer:
V.1.1 - Qu'à son avis aucun texte législatif ou réglementaire français ou européen n'avait été violé et qu'il n'y avait pas lieu de prendre en considération les observations demandant pour ce motif la nullité de l'enquête.
V.1.2 - Que la construction d'un tunnel routier sous le Col du Somport était un maillon important de l'axe Pau-Saragosse et donnait satisfaction aux attentes des populations et des professionnels de France et d'Espagne.
V.1.3 - Que les trafics prévisionnels de l'ouvrage restaient d'un ordre de grandeur comparable à ceux d'autres tunnels internationaux tels que le Mont-Blanc ou le Fréjus et que son coût de construction n'avait pas été sous estimé.
V.1.4 - Que la construction ou l'exploitation du tunnel ne génèrent aucune nuisance ou atteinte au milieu naturel qui ne soit pas maîtrisable et qu'elles permettront au contraire une protection plus complète du Parc National des Pyrénées.
V.1.5 - Que le maître d'ouvrage prendra en compte dans la mesure du possible la protection de la faune menacée et pourra participer à des actions de recherche dans ce domaine.
V.1.6 - Que les suggestions tendant à utiliser la voie ferrée ne sont pas actuellement adaptées à la réalité.
V.2 - C'est pourquoi la Commission à l'unanimité de ses membres émet un avis favorable à la déclaration d'utilité publique du tunnel du Somport (section française).
"Le Tunnel est une solution écologique propre et acceptable pour le passage d'une route transpyrénéenne", comme l'exprime la Charte pour la Protection des Pyrénées (Commission Interrégionale Associative pour la Protection des Pyrénées).
V.3 - La Commission croit enfin devoir exprimer quelques suggestions ou recommandations qui ne constituent pas des réserves:
- mieux affirmer l'absence de péage.
- définir les conditions de transport des matières dangereuses.
- préciser l'avenir de la RN 134 entre les Forges d'Abel et du Col du Somport.
- étudier l'intégration paysagère de la tête du tunnel et des talus.
- promouvoir une réflexion des collectivités locales sur l'aménagement de la vallée.
- veiller aux installations du chantier.
- réfléchir aux aménagements futurs.
Pau, le 16 Décembre 1990
Les commissaires enquêteurs