Décapitée par un loup - Autopsie d'une prédation survenue en 1817

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L’histoire du loup ne fait polémique que du fait d’organisations idéologique sectaire dites de "protection de la nature". Le professeur Jean-Marc Moriceau, en nous faisant part de ses recherches dans les archives, ne gomme pas le passé pour refaire l’histoire pour coller à une idéologie mais nous livre cette histoire écrite dans les archives des régions de France. Ici, dans le département de l’Yonne, de nouveaux documents viennent préciser ce qu’il avait écrit en 2007 et alimente un peu plus l’histoire du loup et des dégâts occasionnés notamment sur les humains.

- Décapitée par un loup - Autopsie d'une prédation survenue en 1817

"La découverte de cadavres humains emportés par des loups et retrouvés la tête séparée du corps constitue un leitmotiv de l’histoire des loups mangeurs d’hommes, du 16e au 19e siècle. Pour certains auteurs qui se penchent sur la fameuse Bête du Gévaudan, en ignorant très souvent les autres attaques de prédateurs survenues dans l’histoire, la simple découverte de ces scènes atroces, assimilées à autant de « décapitations », ne peut être attribuée à un animal sauvage. Epousant un préjugé courant dans l’opinion publique, ils y voient la main de criminels, projetant sans vergogne sur le passé les interprétations propres à notre monde contemporain. Or les témoignages de l’histoire soulignent que c’était bien des loups agresseurs qui opéraient de la sorte.

"En 2007, dans l’Histoire du méchant loup (p. 348), j’avais bien présenté la technique de l’animal: "Quatre redoutables canines, longues de 3 cm ou plus, les « crocs » servent à maintenir la proie ; derrière elles, parmi les 16 prémolaires et les 10 molaires, quatre puissantes carnassières constituent des cisailles tranchantes pour couper chair et tendons et broyer les os jusqu’au fémur avec une pression de 150 kg au cm2. Les crocs entraînent des morsures souvent mortelles ou blessent « cruellement » les personnes. En intervenant à l’endroit le plus fragile, à l’articulation entre la première et la deuxième vertèbre cervicales – atlas et axis –, les carnassières du loup ont vite fait de sectionner la tête." Si les relations de témoins ne manquaient pas sur ce point, je ne disposai pas à l’époque d’un rapport médical circonstancié mettant en évidence avec précision l’effet de la dislocation par le loup des cervicales de certaines de ses victimes.

"Avec l’examen opéré par deux officiers de santé, le 15 juillet 1814 à Saint-Cyr-les-Colons, dans l’Yonne, la lacune est comblée. De 1813 à 1817, alors que sévit aux confins de l’Yonne et de la Nièvre l’une des dernières attaques en série de loups (ou canidés sauvages) sur l’homme, l’infortunée Brigide Lesoeur, 45 ans, est «décapitée »("la tête hors de dessus les épaules") par une bête féroce en forme de loup alors qu’elle était partie cueillir de l’herbe dans son champ d’avoine, quelques heures après une attaque manquée contre une fillette de 8 ans qui s’en tire avec « 7 dentées plus profondes les unes que les autres autour du col et de la tête ». C’est tout l’intérêt d’un document exceptionnel comme celui que nous transcrivons – un procès-verbal de levée de cadavre suivi d’un rapport médico-légal et d’un appel à témoin sur les circonstances du drame et la non-culpabilité du marie de la victime – que de monter au public que l’historien ne doit jamais se résigner à faire éclater la vérité.

"Le degré de précision du document est tel, que deux siècles plus tard, à quelques mètres près, Johann Vornieres a pu retrouver sur les plans cadastraux « napoléoniens » le lieu exact du drame. Encore une fois le canidé sauvage, « une espèce de loup qui paraissait plus élevé que les loups ordinaires » sort du commun.

"Anticipant sur le document, et pour ne pas lasser un lecteur pressé, nous donnons immédiatement le passage principal que l’on retrouvera, à sa place, à l’intérieur de la transcription intégrale du document:

"A la tête restait encore adhérent des lambeaux de peau, de muscles, de nerfs et de vaisseaux sanguins du cou, ainsi que la première vertèbre de cette région de la colonne épinière. La face et le pourtour de la tête n’offrant rien de particulier sinon quelques déchirures de la peau vers les parties latérales des mâchoires.

"Le tronc, vers le pourtour du col où la décollation a été faite, présentait de même que vers les mâchoires, des déchirures ou édentées plus ou moins profondes, et qui semblaient par leur direction oblique, indiquer les efforts que faisaient l’animal pour déchirer le tissu de la peau et des partie situées au-dessous, lesquelles étaient tellement mâchées qu’il était très difficile d’en distinguer les débris. Le larynx, la trachée-artère, une portion du pharynx et de l’œsophage y adhérant moins brisés que les autres parties, mais criblées de trous. Les deuxième et troisième vertèbres brisées en éclats et dont une partie des débris était confondue avec ceux des parties molles/une portion de la moëlle épinière de la longueur d’environ 5 centimètres était arrachée de son canal.

"L’intérieur du crâne et de deux autres cavités du tronc, le ventre et la poitrine n’ont rien présenté de particulier. Enfin, après avoir examiné toutes les parties dudit cadavre ainsi que les circonstances insérées au procès-verbal de monsieur le Maire, nous avons reconnu que la seule cause de la mort de cette femme est l’animal furieux qui depuis quelque temps désolait nos cantons."
Source: Archives départementales de l'Yonne, 8 M 104.

- Ensemble du document

"Ce jourd’hui 14 juillet 1814, heure de onze du soir, sont comparus par devant nous Edme Martial Robin, maire de la commune de Saint-Cyr [Saint-Cyr-les-Colons 89341], canton de Chablis, arrondissement d’Auxerre, département de l’Yonne, le nommé Jean Bertheau, âgé de 35 ans, et Edme Gros, âgé de 22 ans, tous deux laboureurs demeurant au Puits de Courson, hameau dépendant de cette commune, lequel Jean Bertheau nous a déclaré que ce jourd’hui, environ les trois heures après midi, que Brigide Lesoeur, sa femme, âgée de 45 ans, lui aurait dit qu’elle était allé cueillir de l’herbe dans leur avoine, situé au climat du Petit Bois, finage de Saint-Cyr ; et que sur les huit heures du soir et plus, ledit Berthault arrivant lui-même de travailler par la campagne, il aurait vu que sa femme n’était pas encore rentrée à sa maison pourquoi il aurait été pour la chercher à la place qu’elle lui avait indiquée; où étant arrivé, il n’aurait pas été plus surpris que de voir sa femme étendue par terre, ayant la tête hors de dessus les épaules. Il aurait de suite crié les plus proches voisins à son secours à l’effet de savoir si quelqu’un d’eux avait connaissance de cet accident, ce qu’il n’a pu rien savoir. Pourquoi ledit Jean Bertheau nous a requis de nous rendre demain 15 du courant pour faire la levée du cadavre et faire les informations requises en pareille circonstance, et ont lesdits Gros et Bertheau déclaré ne savoir signer. Signé: Robin.

"Aujourd’hui 15 juillet 1814, nous, maire de la commune susdite, aux nom et qualité que dessus, et en vertu de la déclaration par ledit Jean Bertheau, en tête du présent, nous aurions requis au nom de la loi les sieurs Jules Edme Bellière/et le sieur Edme Victor Dessaix, tous deux chirurgiens demeurant à Saint-Cyr, pour se rendre avec nous, à 7 heures du matin, au Puits de Courson, commune de saint-Cyr, à l’effet de nous rendre de suite à l’endroit indiqué où a été dévoré ladite Brigide Lesoeur, femme Bertheau, pour qu’ils puissent constater par leur rapport la cause d’un pareil événement avant d’ordonner la levée du cadavre, ce qui a été fait de suite ainsi qu’il suit.
Arrivant sur le chemin du Petit-Bois, allant à la Métairie Rouge, à la distance de 60 mètres des premières maisons du Puits, nous aurions entré dans une pièce d’avoine appartenant audit Jean Bertheau, où, étant entrés, à 11 mètres en dedans ladite pièce d’avoine, nous avons trouvé le cadavre énoncé ci-dessus, qui avait la tête hors de dessus les épaules, et qui était à la distance de 2 mètres du corps, avec du sang de répandu en différentes places ; où nous avons reconnu, avec plusieurs témoins qui seront dénommés ci-après que c’était vraiment le corps de Brigide Lesoeur, femme dudit Jean Bertheau. Ladite pièce d’avoine, tenant du levant à plusieurs aboutissant, du midi à Bernard Lesoeur, du couchant au chemin du Petit-Bois, et au nord à Etienne Le Sœur. D’après lesquelles les susdit Bellière et Deffaix ont procédé en notre présence ainsi que des témoins à la visite du cadavre dont le rapport suit. Nous Jules Edme Bellière Lamotte et Edme Victor Deffaix, officiers de santé, demeurant à Saint-Cyr-les-colons, en vertu de la réquisition de Monsieur le maire dudit Saint-Cyr, en date de ce jour 15 juillet 1814, à l’effet de procéder à l’examen du cadavre de Brigide Lesoeur, dénommés au procès-verbal qui précède, et de lui en faire notre rapport, à quoi/voulant procéder, nous nous sommes transportés au milieu d’une plaine d’avoine, à la distance d’environ 70 mètres du Puits de Courson, hameau dépendant dudit Saint-Cyr, où nous avons effectivement trouvé le cadavre indiqué, duquel la tête était séparée du tronc et distante d’environ 2 mètres, et entre ces deux parties du même cadavre, des traînées de sang coagulé, des portions de vêtements déchirés, ensanglantés.
A la tête restait encore adhérent des lambeaux de peau, de muscles, de nerfs et de vaisseaux sanguins du cou, ainsi que la première vertèbre de cette région de la colonne épinière. La face et le pourtour de la tête n’offrant rien de particulier sinon quelques déchirures de la peau vers les parties latérales des mâchoires.
Le tronc, vers le pourtour du col où la décollation a été faite, présentait de même que vers les mâchoires, des déchirures ou édentées plus ou moins profondes, et qui semblaient par leur direction oblique, indiquer les efforts que faisaient l’animal pour déchirer le tissu de la peau et des partie situées au-dessous, lesquelles étaient tellement mâchées qu’il était très difficile d’en distinguer les débris. Le larynx, la trachée-artère, une portion du pharynx et de l’œsophage y adhérant moins brisés que les autres parties, mais criblées de trous. Les deuxième et troisième vertèbres brisées en éclats et dont une partie des débris était confondue avec ceux des parties molles/une portion de la moëlle épinière de la longueur d’environ 5 centimètres était arrachée de son canal.
L’intérieur du crâne et de deux autres cavités du tronc, le ventre et la poitrine, n’ont rien présenté de particulier. Enfin, après avoir examiné toutes les parties dudit cadavre ainsi que les circonstances insérées au procès-verbal de monsieur le Maire, nous avons reconnu que la seule cause de la mort de cette femme est l’animal furieux qui depuis quelque temps désolait nos cantons.
En foi de quoi nous avons rédigé le présent au Puits de Courson, ledit jour et an que dessus, 15 juillet 1814.
Signé avec paraphe: Deffaix, Bellière Lamotte.

"Après lesquels rapports nous avons ordonné l’enlèvement du cadavre qui a été transporté au domicile dudit Jean Bertheau, où étant déposé, nous lui avons apposé le cachet de notre commune sur le côté de la poitrine, sur l’épaule droite, avec de la cire jaune, après lequel nous en avons autorisé l’inhumation à l’heure du sept du soir.

"De suite nous avons procédé à l’information pour savoir si quelqu’un du hameau avait vu cette bête féroce, ou si l’on avait entendu crier la femme qui a été dévorée.

"Il s’est présenté la nommé Maire Sujet/âgée de 50 ans, femme d’Etienne Le Sœur, laboureur audit Puits-de-Courson, laquelle nous a déclaré, après serment d’elle requis, que le jour d’hier, environ quatre heures après midi, elle venait de cueillir de l’herbe avec Jeanne Sajat, veuve de Louis Lesoeur, chacune dans leurs héritages au climat du Petit Bois. En s’en revenant au Puits ( ?) elle aurait passé au bout de la pièce d’avoine appartenant audit Jean Bertheau et elle aurait vu un loup qui était dans une pièce d’orge tenant à la pièce d’avoine où était la femme Bertheau, mais qu’elle ne l’avait pas vue. Qu’elle aurait crié au loup à différentes fois ; que cet animal se serait retourné pour la regarder et il s’en serait en allé du côté de la Croix Pilâtre, qui est tout ce qu’elle a dit savoir et déclaré ne savoir signer.

"Et de suite est comparu Jeanne Sajat, veuve de Louis Lesoeur, âgée de 54 ans, demeurante au Puits de Courson, après le serment d’elle requis, nous a déclaré que le jour d’hier, environ 4 heures après-midi, qu’elle venait de cueillir de l’herbe dans son héritage, au climat appelé Le Petit Bois, avec ladite Marie Sajat, ci-dessus dénommée, qu’étant arrivée à l’endroit où a été dévoré Brigide Lesoeur, elle n’aurait rien vu sinon une espèce de loup qui lui paraissait plus élevé que les loups ordinaires, qu’il était dans une pièce d’orge tenant à la pièce d’avoine où l’on a trouvé la femme Bertheau. Cet animal pouvait être à la distance d’environ 3 mètres du cadavre. Laquelle se serait miss à crier au loup pour le faire aller plus loin, et que cet animal se serait retourné pour les regarder. De suite il s’en était en allé du côté de la Croix Pilâtre, qui est tout ce qu’elle/a déclaré savoir, nous a dit ne savoir signer.

"Nous avons appelé ensuite les sieurs Pierre Gros gd Beau ( ?), Edme Sannois, gd Jodon ( ?), Bernard Lesoeur et Jean Naulin, qui sont les quatre voisins les plus proches du susdit Jean Bertheau pour savoir d’eux si ce dernier vivait de bonne union avec sa femme, lesquels nous ont affirmé et attesté qu’ils vivaient ensemble de bonne amitié et de bonne intelligence et qu’il n’y avait aucun reproche à faire contre lui.
Dont de tout ce que d’un et de l’autre part nous avons rédigé le présent procès-verbal pour que copie soit envoyée à monsieur le Préfet de l’Yonne, autre copie à monsieur le procureur du roi pour en être statué ce qu’il appartiendra. Fait et rédigé en la maison du susdit Jean Bertheau, au Puits de Courson, commune de Saint-Cyr, ledit jour 15 juillet 1814. Signé: robin, maire.

"Le maire de la commune de Saint-Cyr certifie en outre que cette bête féroce a passé au Vaugermain, hameau dépendant de notre commune, ledit jour 14 juillet, environ l’heure de midi, qu’elle a manqué de prendre une petite fille âgée de 9 ans, appartenant à Pierre Moret ; que sans le secours de ses camarades et d’un chien que cet enfant avait/avec eux. Cette enfant serait été dévorée (sic), preuve certaine c’est que le chien qui le défendait, cet animal la déchiré en morceaux.

"A la Croix Pilâtre, même commune, et le même jour, vers les 5 à 6 heures du soir, ce même animal a pris une petite fille, âgée de 7 ans, qui était avec une autre petite fille à peu près de son âge, dans une pièce de terre emblavée en pomme de terre et en pois, à la distance d’environ 70 à 80 mètres de ce hameau. Cette bête féroce emportait l’enfant sans le secours du nommé Edme Boullé, son père, qui lui a fait laisser sur la place où, s’étant approché pour prendre son enfant, qui était toute ensanglantée et sans connaissance, au point que lorsque cette petite fille a commencé à recouvrer la vie, elle a défiguré son père avec ses ongles croyant que c’était toujours cette bête qui l’emportait.

"Et ledit jour 14 juillet, étant au Puits de Courson avec le chirurgien nommé de l’autre part, le sieur Beillière nous aurait dit qu’il avait été appelé hier soir pour traiter cette enfant et nous a invité d’aller la voir avec lui, ce que nous avons fait. Où, étant arrivés à La Croix Pilâtre, l’on nous a représenté cette petite fille, où nous avons reconnu qu’elle avait 7 dentées plus profondes les unes que les autres autour du col et de la tête. Ce même chirurgien continue le traitement avec le plus grand soin mais il ne peut par encore assurer la guérison. Pourquoi le soussigné supplie, Monsieur/ le préfet de prendre les mesures qu’il jugera convenables pour faire détruire de pareils animaux qui désolent nos campagnes.

"A Saint-Cyr, ce 16 juillet 1814. Signé: Robin, maire.
"[Acte de sépulture: Mairie de Saint-Cyr-les-Colons, arrondissement d'Auxerre, département de l'Yonne. L'an 1814, le 14 juillet, sont comparus par devant nous, Michel Petit, adjoint de la commune de Saint-Cyr, Jean Bartheme, Bernard Lesoeur et Pierre Gros, tous trois laboureurs au puits de Courson, hameau de cette commune. Lesquels m'ont déclaré que Brigide Lesoeur, femme dudit Jean Bertheau, avait été dévorée par une bête féroce le jour d'hier, sur les 4 heures du soir ou environ, dans une pièce de terre ensemencée en avoine, située au climat du petit bois, appartenant audit Bertheau, finage de Saint Cyr, duquel l'animal lui a ôté la tête de dessus les épaules. La levée du corps a été faite par nous. Les procès-verbaux et informations ont été rédigées de suite, dont copie a été envoyée par le maire à monsieur le procureur du Roi et à monsieur le préfet de l'Yonne, de par lesquelles nous en avons autorisé l'inhumation, qui a eu lieu le 15 du dit mois de juillet, et ont les susdits témoins déclaré ne savoir signer (AD Yonne en ligne État Civil 1811-1818, vue 224)]".

Source de l'ensemble de la page:
Publication de Jean-Marc Moriceau sur la page Facebook du "Pôle Rural" le 17 septembre 2015