Depuis 20 ans le loup défie les éleveurs dans le Mercantour et ailleurs… - 2012

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Depuis les propos recueillis en 1994 et jusqu’en 2013, le discours des éleveurs est toujours le même. Les mêmes observations sur le comportement du loup, les attaques qui s’amplifient, le même désespoir face aux écologistes et gardes du Parc National du Mercantour qui nient systématiquement la réalité et imaginent intellectuellement des solutions qui, en 20 ans, n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité. Mais cela ne fait rien, les grands donneurs de leçons poursuivent dans leurs erreurs avec un esprit presque sadique alors que les éleveurs, victimes de cette écologie sectaire, subissent et résistent à la fois. L’article du Monde.fr ci-dessous relate certains faits montrant cette situation catastrophique autant pour l’élevage, les éleveurs et leurs familles que pour l’environnement et la biodiversité.

- Dans le Mercantour, le loup défie les éleveurs

Comme un tourbillon, le troupeau se rassemble sous la pression des chiens de conduite. Au pied de son refuge d'alpage perché à près de 2 000 mètres dans la vallée de la Tinée, au cœur du parc national du Mercantour, où il a pris ses quartiers depuis le 1er juillet, Bernard Bruno a décidé de compter ses moutons et ses brebis en les faisant passer un à un dans un enclos. Pratiquant un pastoralisme traditionnel, l'éleveur, originaire de Saint-Vallier-de-Thiey, au-dessus de Grasse (Alpes-Maritimes), a transhumé à pied avec ses 2.000 bêtes. Il ne redescendra dans la vallée que le 15 octobre. Le premier hameau est à 1 h 15 de marche, le premier village à plus de deux heures, le paysage sublime, malgré la sécheresse de l'été.

Depuis qu'il a débuté "l'estive", le pâturage de haute montagne, Bernard Bruno subit l'attaque répétée des loups. Déjà dix prédations qui ont fait 31 victimes parmi les brebis. "Dès le premier soir, ils m'en ont tuée une", raconte calmement le berger, 46 ans, belle gueule, avec sa barbe de quatre jours, ses cheveux dans le cou et ses rides creusées par le soleil.

Un de ses chiens patous, un grand "montagne des Pyrénées" blanc, porte les marques d'un combat, une blessure profonde à la patte. L'éleveur s'est entouré de ces gardiens depuis plusieurs saisons. Cet été, il en a sept auprès de lui, plus cinq chiots qu'il a commencé à dresser au contact de tout jeunes agneaux pour les préparer à devenir l'un des leurs. Il s'est aussi doté d'un parc mobile, pour rassembler les moutons la nuit et faciliter la tâche de ses chiens. Une logistique lourde : les filets et les sacs de croquettes pour les patous ont été acheminés par hélicoptère. Le parc de nuit doit être régulièrement déplacé pour éviter le surpâturage.

Malgré ces mesures de protection financées par l'Etat dans le cadre du plan d'action national sur le loup, d'année en année, le prédateur, protégé par la convention de Berne (1979), s'adapte et déjoue la vigilance des éleveurs. "Je ne sais plus ce qu'il faut faire. Cette année, c'est pire que tout, les loups attaquent le jour. Il y a quelque temps, je discutais avec quatre personnes à côté de la cabane. A 80 mètres, le loup s'est jeté sur une brebis. C'est lui qui nous surveille", poursuit Bernard Bruno.

- Les Vautours, Annonciateurs de Mauvaises Nouvelles

Chaque matin, l'éleveur scrute le ciel, guettant la présence des vautours, annonciateurs de mauvaises nouvelles. Lorsque les rapaces balaient le ciel, il sait qu'il peut contacter les gardes du parc pour qu'ils viennent constater les dégâts et enclencher la procédure d'indemnisation. Il faut aller vite : en 48 heures, les charognards auront fait disparaître toutes les traces de prédation. Ce mardi 28 août, s'il a décidé de faire les comptes, c'est qu'il est persuadé d'avoir perdu des bêtes. "Le problème, c'est de le prouver. L'agent du parc ne constate que ce qu'il voit. S'il ne reste que de la laine, pas de carcasse, et bien je ne suis pas indemnisé."

Ces disparitions ne sont pas seulement imputables au loup. Elles font parfois sourire dans la vallée, où l'on soupçonne certains éleveurs d'écouler une partie de leur production sous le manteau.

Voilà trente ans que l'homme exerce son métier de berger, mais le découragement le gagne. "Mon grand-père, mon père étaient éleveurs. J'ai commencé à quatorze ans, j'avais un mouton. Je doute que mes enfants reprennent. Avant le loup, ici, c'étaient les vacances!"

Sa première attaque remonte à 1997, cinq ans après le retour du loup dans le Mercantour. En novembre 1992, l'animal est aperçu pour la première fois en France, après soixante années d'absence. A l'occasion d'un comptage de chamois, en haute Vésubie, on découvre un loup de souche italienne, provenant, selon les experts, de la chaîne des Apennins. Depuis, l'animal a étendu son territoire à douze départements français. Entre 200 et 250 loups vivraient dans l'Hexagone, dont 30 à 40 dans les Alpes-Maritimes.

L'été 2012 a été particulièrement difficile dans le département, qui totalise un tiers des prédations constatées sur l'ensemble du territoire. Au 17 août, avec 406 attaques, on atteignait presque le nombre de celles recensées en 2011. Les tensions se font sentir. Le 8 août, à Châteauneuf-d'Entraunes, un éleveur, à bout après une quinzième attaque, s'est violemment accroché avec l'un des gardes dépêché sur place pour constater les dommages. Le parc a déposé plainte pour coups et blessures. L'affaire est instruite à Nice.

- "Ce dont des Intégristes du Loup"

"On avait prévenu que ça allait mal finir. On peut parler de souffrance. Le travail des éleveurs est dévalorisé, leur vie est devenue impossible, les couples se séparent", tempête Michel Dessus, président de la chambre d'agriculture. Le climat pèse sur les relations avec les agents du parc du Mercantour, soupçonnés il y a vingt ans d'avoir réintroduit le loup et toujours perçus comme les défenseurs zélés du prédateur.

Dès sa création, en 1979, le parc du Mercantour est devenu un objet de conflit, car perçu comme un outil trop contraignant par les chasseurs, les éleveurs et certaines communes. "Je ne peux pas les saquer, s'emporte Louis Ascenzi, éleveur dans la vallée de la Vésubie. Ce sont des intégristes du loup qui rêvent de nous voir disparaître ou juste de garder quatre gars pour le folklore. Pendant des années, ils nous ont interdit de toucher au mélèze alors qu'on savait, nous éleveurs, que si on ne débroussaillait pas, c'était des garde-manger rêvés pour les loups. Eh bien maintenant, ils ont enfin compris et ils nous payent pour les couper!"

Le chef de secteur et l'agent en charge du pastoralisme, la « police du parc », devant le refuge de Bernard Bruno.

"Nous essayons de concilier la protection de l'espèce, qui est inscrite dans nos missions, et la sauvegarde du pastoralisme, dont nous ne négligeons pas le rôle dans la protection des paysages, des habitats et de la biodiversité", se défend le chef de secteur de la moyenne Tinée, Philippe Pierini.

"C'est un service que nous rendons à l'Etat, mais cela ne facilite pas le relationnel, reconnaît Alain Brandeis, le directeur du parc. Il faut sans doute réfléchir à un système déclaratif plus léger." Les gardes mettent en avant leur travail d'"accompagnement du pastoralisme", les contrats passés avec les éleveurs pour améliorer la gestion des pâturages et tenter de limiter la taille des troupeaux, l'installation de captage d'eau, le prêt de matériel, la pression sur les communes pour créer de nouveaux refuges.

Les éleveurs pestent, eux, contre la réglementation au cœur du parc particulièrement stricte, où les tirs d'effarouchement ne sont pas autorisés. Ils tentent donc de trouver des subterfuges pour effrayer autrement les loups. Cette année, les gardes ont tenté d'expérimenter avec Bernard Bruno un système de faisceau lumineux. Mais l'appareil n'a jamais fonctionné.

- Régulation du Loup, "Au Nom de la Paix Sociale"

Toutes les nuits, dans son refuge, Bernard Bruno guette à l'oreille le troupeau. Il se lève souvent trois ou quatre fois, alerté par des mouvements anormaux ou les aboiements des chiens. Parmi les aides, il peut bénéficier de la présence d'un berger, mais y a renoncé. "L'an dernier, ça a fini aux prud'hommes. Le gars estimait avoir fait trop d'heures. Cette année, le nouveau est parti au bout de quatre jours, il ne voulait pas se lever la nuit."

Dans la vallée voisine, à La Bollène-Vésubie, pour garder son troupeau de 1 000 brebis, Michel Barengo, 47 ans, emploie un aide-berger, un homme de 52 ans dont il ne veut surtout pas se séparer. "J'ai 490 hectares avec des creux et des vallons. J'ai quatre chiens patous. J'en aurais 50, cela ne changerait rien car le terrain est tellement accidenté qu'il leur est impossible de surveiller tout le troupeau."

L'éleveur est excédé. Ses brebis, qui restent dans la montagne la quasi-totalité de l'année, subissent des attaques quelle que soit la saison. Le 23 mars, il a écrit au préfet des Alpes-Maritimes pour demander "une régulation massive, efficace et intelligente du loup" au nom "de la paix sociale". "Avant le loup, c'était le paradis. C'est devenu désespérant. Depuis le 24 décembre 1994, date de ma première attaque, j'ai perdu plus de 1 500 bêtes. Au début, mon père, qui n'avait pas subi le loup, me traitait de bon à rien. J'avais honte. Quand j'ai passé des heures à faire téter des agneaux, je n'ai pas envie de retrouver leur carcasse. Ce ne sont pas les indemnisations qui peuvent nous rassurer, car le loup menace notre profession et, au-delà, la biodiversité."

Son collègue Louis Acsenzi va se séparer de la moitié de son troupeau. "Les loups sont en train de me faire baisser les bras. Mon fils en a assez. Chaque soir, il passe cinq heures à rassembler les brebis pour les parquer. C'est du stress et autant d'heures de pâturage en moins et donc de viande à la fin de la saison. C'est pas évident d'arrêter, de vendre un troupeau à la casse."

Pour calmer les esprits, la préfecture a autorisé "un tir de prélèvement", jargon administratif pour ne pas prononcer le mot "abattage". Une mesure "trop symbolique" pour les éleveurs, "inutile et dangereuse" pour les défenseurs du loup. Le retour au calme n'est pas pour demain dans le parc du Mercantour.

Auteur: Sophie Landrin
Source: Le Monde.fr du 1 septembre 2012