A propos du loup.... Anne Vallaeys s'exprime

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Anne Vallaeys, journaliste et écrivain, auteur de "Le loup est revenu", s’exprime quant aux derniers événements survenus dans les Alpes: accroissement des prédations, battues d’effarouchement dans le Parc National des Ecrins, position et comportement des organisations écologistes, évolution des mentalités et de la perception du loup, etc…. En conclusion de sa réaction elle s'interroge autour d'une réflexion déjà posé dans les Pyrénées au sujet de l’ours: "que veut-on faire des territoires de montagne?" Qui doit décider? Les écologistes ou les habitants des territoires concernés? Nul doute qu’une telle réflexion ne plait pas aux associations écologistes qui, toutes, sans exception, veulent imposer un ré-ensauvagement (Rewilding) des montagnes sans activité humaines.

- A propos du loup

Les partisans de Canis lupus en conviendraient-ils enfin? La cohabitation du loup et de l’agneau, sa proie, est un leurre. Faudrait-il en déduire, comme la morale de la fable, que «la raison du plus fort est toujours la meilleure»? En vertu d’une wilderness fantasmée, dont le loup serait le héros, devra-t-on «éliminer» des alpages brebis et bergers, gêneurs d’une harmonie naturelle?

En juillet dernier, les lieudits des Pales et La Lavine, au cœur du Parc national des Ecrins, ont été le théâtre quasi quotidien d’attaques lupines répétées, en dix jours cent cinquante brebis lacérées, massacrées ou précipitées dans les combes. Du jamais vu en Hautes-Alpes jusque-là.

Les agents du Parc savent qu’un, voire des loups errent dans ces parages où pâturent nombre de troupeaux. A défaut de tirs de prélèvement - comprenez abattage au fusil - les responsables de l’établissement public, en accord avec leur comité scientifique, déclenchent une action d’ «effarouchement» afin d’éloigner les prédateurs de cet espace classé «montagne pastorale». Ainsi, un matin de juillet, une trentaine d’agents équipés de pétards explosifs font mouvement, puis lancent une battue sonore de quelques heures.

Les associations protectrices du loup émettent aussitôt des protestations indignées. Dans un communiqué conjoint, Aspas et Ferus dénoncent une «opération honteuse et gravissime». «La vocation première d’un parc national, s’insurgent-elles, est la protection de la nature. Comment justifier qu’une espèce protégée, utile à la bonne santé de nos écosystèmes, soit exclue de zones censées constituer des refuges pour la biodiversité?» Ainsi fustigés, les gestionnaires des Ecrins rappellent qu’en l’occurrence ils ne font qu’appliquer les fondements mêmes d’une Charte adoptée par décret du Conseil d’Etat après avis favorable du Comité national de protection de la nature. Celle-ci prévoit que les missions de préservation s’étendent aussi à certaines formes de pastoralisme «reconnues comme une priorité dans le maintien et l’équilibre des grands espaces et des espaces ouverts, avec toutes les espèces ou cortèges d’espèces liés à ces habitats». Cet effarouchement découle donc des parades de prévention à l’encontre du dommage des grands prédateurs.

Qu’à cela ne tienne, renchérissent les défenseurs du loup dans un communiqué: «Puisque tout le monde s’accorde pour considérer que prédation et pastoralisme sont incompatibles, commençons par le plus évident: déclarons les parcs nationaux zones d’exclusion totale pour toutes les activités pastorales!»

Depuis vingt ans, non sans arrogance, les protecteurs de Canis lupus prétendaient qu’une cohabitation meutes/troupeaux harmonieuse était possible en alpages, antienne reprise à l’unisson par les pouvoirs publics. La réapparition du loup, cette aubaine selon ceux-ci, favoriserait l’évolution, la modernisation des métiers pastoraux; aucune inquiétude, les prédateurs seraient maintenus à l’écart grâce aux clôtures électrifiées, un gardiennage renforcé et des chiens de protection.

Depuis vingt ans, éleveurs et bergers se sont adaptés, quitte à transgresser la manière même de leur métier. Las... La Direction départementale des territoires des Alpes-Maritimes, où la prédation des loups devient explosive, en convient: en 2013, la totalité des troupeaux attaqués était bien «protégée» selon les consignes imposées par les règlements; constat identique dans les Alpes-de-Haute-Provence, où 87% des troupeaux victimes du prédateur respectaient parfaitement les normes récentes. Pour mémoire, notons que, cette même année, 6786 brebis étaient la proie des loups…

«Le loup habitera avec l’agneau, un enfant les conduira, leurs petits dormiront ensemble et le loup mangera du fourrage comme le bœuf.» A l’évidence, cette prophétie d’Isaïe tient du rêve. A moins que les généticiens n’inventent un loup herbivore…

Les naturalistes lycophiles ne sont dupes de rien, l’ont-ils jamais été d’ailleurs? Deux d’entre eux, réputés «spécialistes du loup» (France-Inter 4/4/2012), le vétérinaire François Moutou de la Société pour l’étude et la protection des mammifères et Pierre Jouventin, éthologue CNRS, s’expriment de conserve: «La question, interroge le premier non sans cynisme, est de savoir si le pastoralisme est encore compatible avec les dangers de la montagne, le bien-être des troupeaux qui peuvent rencontrer des situations imprévues.» Définitif, le second surenchérit: «Les éleveurs devront abandonner le métier, de toute manière ils n’arriveront pas à se débarrasser du loup, il y en a partout, ils débarquent de toutes les frontières.»

Que bergers et troupeaux, ces intrus, déguerpissent des alpages, que les brebis regagnent les bergeries des fonds de vallées, qu’elles se satisfassent, comme les porcs bretons gavés en batterie, de leur destin de machine à viande!

Proches du désespoir devant une partie qui semble perdue, des centaines d’éleveurs de l’Alpe envisagent de renoncer. Certains, à chaque saison, subissent quarante, voire cinquante attaques de loups. D’autres, encore dans la force de l’âge, résistent mais s’interrogent, la mort dans l’âme: qu’adviendra-t-il des successions, quels jeunes dans pareilles conditions poursuivraient-ils le grand métier? Sans oublier les quartiers de moyenne montagne ensauvagés, les paysages abandonnés à la friche proliférante, la forêt inéluctable. N’est-ce pas ce qu’escomptent les militants du loup qui prônent l’ensauvagement des territoires, à l’instar du Large Carnivore Initiative for Europe, ces lobbyistes qui à Bruxelles assiègent la Direction générale de l’environnement afin de peser sur l’élaboration de directives favorables au loup et aux grands prédateurs?

Est-ce là l’avenir des massifs alpins destinés à devenir de vastes sanctuaires dépourvus d’hommes, où la nature rendue à elle-même étendrait son empire? Au profit des divagations de Canis lupus et des plaisirs exclusifs de l’écotourisme...

Anne Vallaeys
Auteur de: Le Loup est revenu (éd. Fayard)